2022 SE TERMINE MAIS RESTERA GRAVÉE DANS LES MÉMOIRES

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Les performances des portefeuilles balancés sont négatives
La diversification 60/40 n'a pas permis d'amortir le choc autant qu'à l'accoutumée
Avec le retour de l'inflation, les investisseurs se préoccupent des performances "réelles"
Avec la hausse des taux obligataires, les actifs privés illiquides semblent moins attrayants

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "Performance des classes d'actifs depuis le 1er janvier"

ANALYSE DES MARCHÉS FINANCIERS

En 2022, la contraction des marchés financiers aura été douloureuse pour les investisseurs. L'indice MSCI des actions mondiales est en baisse de -19%, ayant même atteint -27% au mois d'octobre (cf. Graphique de la semaine). Les actions ne sont pas les seules à avoir souffert. Les actifs volatils que sont les cryptomonnaies ont été malmenés : leur valeur marchande est tombée à 870 milliards de dollars après avoir bondi à près de 3'000 milliards de dollars il y a un an, en contraction de -68%. De leur côté, les actifs les plus sûrs n'ont pas non plus échappé à la déroute. L'indice des obligations mondiales a chuté de -14% en 2022, avec un creux à -21%.

Prises individuellement, ces pertes sont conséquentes mais, plus encore, c'est leur corrélation qui a rendu leur impact pénalisant pour les investisseurs. Le "portefeuille 60/40", composé à 60% d'actions et 40% d'obligations, est un choix populaire pour les investisseurs qui sont à la recherche d'un bon rendement sans prendre de trop grands risques. Cette année, avec une performance de -15% (cf. Fig. 2), cette stratégie est décevante. La gestion discrétionnaire affiche des résultats très similaires, avec légèrement moins de volatilité, y compris pour des portefeuilles balancés en euros (cf. Fig. 3) qui ont pu profiter de l'appréciation de 9% du dollar.

Les investisseurs ont eu peu d'endroits où se cacher cette année. Ceux qui ont fait le choix d'être plus prudents en allouant davantage d'obligations n'en ont pas tiré profit. Quant aux autres actifs "refuges", ils n'ont offert qu'une protection limitée. Le cash n'a pas rapporté grand-chose, même si sa rémunération commence à devenir attractive. L'or, considéré comme une protection contre les aléas des marchés financiers mais aussi contre l'inflation, a chuté de -4%. Même le yen japonais, qui progresse habituellement lorsque le risque augmente, a chuté de -10% en passant par un creux à -23%. In fine seuls les investissements sur le dollar et sur les matières premières (cf. Graphique de la semaine), dont la plupart ont vu leurs prix s'envoler à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février, auront été rentables.

Cette chute généralisée des marchés financiers est le résultat d'un changement de régime macroéconomique. L'inflation, qui n'avait pas été observée à un niveau aussi élevé dans les pays développés depuis les années 1980, est de retour… et elle est perceptible. Les investisseurs cherchent désormais à protéger leurs portefeuilles contre l'inflation, contre leur érosion en termes "réels". Alors que cet objectif avait fini par devenir une préoccupation secondaire, ils plébiscitent aujourd'hui les investissements dans des actifs "réels", tels que les matières premières. En tant que source fréquente d'inflation, ces dernières constituent un bon moyen de s'en protéger. Par ailleurs, elles sont actuellement nettement mieux "financiarisées" que dans les années 1970, disposant notamment de marchés à terme profonds et liquides. Les investisseurs peuvent ainsi facilement s'y exposer sans prendre le risque de se faire livrer physiquement des barils de pétrole ou des boisseaux de blé.

Le retour de l'inflation a également modifié le travail des banquiers centraux, qui tentent de mettre fin à quinze années de politiques monétaires exceptionnelles. Depuis le début de l'année, les banques centrales ont cherché à abandonner la politique de taux zéro et la création monétaire, le désormais célèbre Quantitative Easing, dans le but de normaliser leur politique monétaire. La semaine dernière, la Fed, la BCE, la BoE et la BNS ont toutes les quatre augmenté leurs taux directeurs de 50 points de base supplémentaires et confirmé leurs programmes pour réduire leurs bilans. Les discours tenus en marge de ces réunions ont tous été peu accommodants, y compris celui de la Réserve fédérale (cf. Fig. 4), au grand désespoir des investisseurs.

La hausse des rendements obligataires souverains a rendu les actifs risqués moins attrayants. C'est le cas des actions, mais également des marchés privés. Ces stratégies d'investissement (comme la dette privée, le capital-investissement, l'immobilier en direct, ou toutes les stratégies liées au financement commercial, aux infrastructures, aux litiges juridiques, ou aux assurances-vie par exemple) se sont massivement développées au cours des dernières années. Ce sont les investisseurs institutionnels qui ont été particulièrement enthousiastes. Les fonds de pension publics américains, par exemple, allouent près de 20% de leurs portefeuilles en capital-investissement et en immobilier. Ce ratio devrait reculer prochainement. À l'heure où il est possible d'obtenir 4% de rendement avec des obligations d'État, les gestionnaires de ces fonds d'investissement se demandent si les 7% escomptés sur les actifs privés sont suffisants. A perspectives de performances aussi proches, l'illiquidité des actifs privés, voire leur opacité pour certains, les desservent.

En 2023, certains actifs privés pourraient subir des dépréciations. C'est souvent aux gestionnaires qui gèrent les actifs du fonds de les évaluer. Ils sont naturellement réticents à les dévaloriser. Au cours des trois premiers trimestres de 2022, la banque Lincoln International a estimé que les fonds de capital-investissement du monde entier ont augmenté la valeur des entreprises qu'ils détiennent de +3%, alors même que le S&P 500 perdait -22%. Toutefois, une telle inertie entraînera des rendements médiocres dans les années à venir, car il sera difficile, voire impossible, de vendre à profit des actifs dont les valorisations sont irréalistes. Les fonds de dettes privées sont confrontés à une problématique différente. Certes, ils ont généralement des taux d'intérêt flottants et leur valeur augmente avec la hausse des taux, mais nombre d'entre eux sont spécialisés dans les entreprises en difficulté. Ils seront donc confrontés à des défauts de paiement à mesure que le service de la dette deviendra plus coûteux.

Comme souvent dans ce type de situation, les meilleurs sortiront grandis tandis que les moins bons disparaîtront. Les fonds qui cherchaient à générer de la croissance organique tireront très bien leur épingle du jeu. A contrario, ceux qui procédaient uniquement par effet de levier (LBO) seront les plus à risque.

Conclusion

Les investisseurs s'inquiètent à juste titre de l'impact de l'action musclée des banques centrales sur les agents économiques, sur les marchés financiers et sur les fonds d'investissement. Après une année 2022 de forte corrélation entre les actifs, 2023 sera l'année de la diversification. Le niveau élevé des rendements obligataires rend les investissements risqués (comme les actions), ou illiquides (comme les actifs privés) moins attractifs au vu des risques encourus. Les douze prochains mois ne seront pas moins extraordinaires que les derniers écoulés. Bonne année !

RENDEMENT DES ACTIFS FINANCIERS