Depuis octobre 2022, les investisseurs acceptent de prendre davantage de risques dans leurs placements financiers. Cette meilleure tolérance à l'incertitude, surnommée "risk-on", a permis la progression régulière des marchés actions, ceux-ci s'arrogeant quelque 50% en à peine plus de 18 mois. La confiance des investisseurs est également visible dans les indices de volatilité et sur les marchés obligataires. La dispersion des titres cotés (VIX), mesurée par l'écart-type des performances des 503 actions composant l'indice S&P, est désormais proche de ses plus bas niveaux historiques (cf. Fig. 2). De la même manière, les écarts de rendement entre les obligations d'entreprises et les bons du trésor se sont littéralement écrasés. La prime allouée aux détenteurs de corporates, pour le risque additionnel de défaut qu'ils encourent, a rarement été aussi faible.
En allant plus loin dans l'analyse, il est facile de constater que la volatilité de la volatilité (VVIX) a également chuté à un niveau anormalement faible, ce niveau de 73% n'ayant été observé que de manière temporaire par le passé (cf. Fig. 3). Mathématiquement, un moment de panique des investisseurs devient de plus en plus probable, de manière à ramener les indices de volatilité (VIX et VVIX) au-dessus de leurs médianes respectives, à 17% et 90%.
Sur les marchés obligataires, les spreads se sont compressés pour toutes les qualités d'émetteurs. Les entreprises américaines les mieux notées, dites investment grade, n'offrent désormais plus que 125 points de base de rendement additionnel par rapport aux obligations d'Etat à 10 ans (cf. Fig. 4). Leurs homologues dont le risque de défaut est plus grand, dites high yield, détachent un coupon de "seulement" 350 points de base au-dessus des treasuries. La faiblesse de ces spreads est d'autant plus frappante que le rendement de l'actif "sans risque" a fortement progressé au cours des dernières années. Le meilleur moyen d'illustrer ce phénomène est de calculer la contribution des spreads en pourcentage du rendement total délivré par les obligations d'entreprises. Le poids du spread n'a quasiment jamais été si minuscule (cf. Fig. 5).
Au-delà du fait que la tolérance des investisseurs aux incertitudes et au stress n'est pas linéaire, et qu'un environnement "risk-on" peut très rapidement basculer en "risk-off", deux facteurs macro-économiques incitent à la vigilance :
▪ L'activité économique ralentit, notamment les créations d'emplois (cf. Stratégie & Thématiques du 6 mai 2024), ce qui pourrait faire chuter les indicateurs avancés d'activité, avant même qu'ils aient réussi à s'installer au-dessus du seuil fatidique des 50 points (cf. Fig. 6). Moins de croissance signifiant moins de revenus pour les entreprises, la capacité de ces dernières à rémunérer les actionnaires et à rembourser leurs dettes se détériorerait. Ainsi, la volatilité et les spreads de crédit augmenteraient.
▪ La politique monétaire est restrictive, de manière à lutter contre le dérapage de l'inflation. La rigueur des banques centrales a tendance à provoquer des périodes de turbulences sur les marchés financiers (cf. Graphique de la semaine). Au vu de la rapidité et de l'amplitude du mouvement de hausse des taux directeurs, il est très probable que la volatilité et les spreads rebondissent durablement au cours des deux prochaines années.
C'est lorsque la mer est anormalement calme que le marin doit identifier les ports de repli. Pour les investisseurs, il s'agit de considérer les obligations souveraines et les stratégies de couverture optionnelles avant qu'une tempête économique et financière favorise durablement l'écartement des spreads et un régime de volatilité plus élevé.