Dans les pays développés, la croissance économique est principalement tirée par la consommation des ménages. Leurs dépenses représentent en moyenne 60% du Produit Intérieur Brut (cf. Fig. 2). Aux Etats-Unis, elles n'ont cessé de progresser depuis la Seconde Guerre mondiale et l'avènement de la société de consommation, jusqu'à atteindre 71% du PIB (cf. Fig. 3). En Zone Euro, le phénomène est moins marqué et la tendance, baissière, mais le ratio d'emprise de la consommation atteint tout de même 52%.
Le consommateur étant le principal moteur de l'activité économique, les investisseurs scrutent avec une attention toute particulière le niveau de confiance des ménages. Cette dernière dépend principalement des revenus tirés de l'emploi, de l'évolution de l'épargne et des marchés financiers, et de l'accès au crédit.
Habituellement, tant que la création d'emploi est dynamique, les investisseurs ont du mal à s'inquiéter d'une récession. Et pourtant, le marché de l'emploi est un indicateur retardé du cycle économique. Ce n'est qu'une fois que les entreprises ont constaté que leurs carnets de commandes sont vides, qu'elles ont reconstitué leurs stocks, et qu'elles ont cessé d'investir en nouvelles machines, qu'elles licencient une partie de leur personnel. Lorsque l'emploi se contracte, il est déjà trop tard pour s'en préoccuper : la récession est en place. Cette fois-ci, non seulement les entreprises sont en retard pour réduire leurs effectifs, mais elles ont embauché de manière excessive (cf. Fig. 4).
Depuis plusieurs trimestres, les carnets de commandes faiblissent (cf. Fig. 5), le taux d'utilisation des capacités de production chute, l'investissement en capital diminue (cf. Fig. 6), mais les entreprises embauchent toujours. Aux Etats-Unis, la croissance de l'emploi pointe à 3.2% par an, alors que la production stagne à 0.9%. Le corollaire de cette situation est que la productivité ne s'était jamais autant effondrée : -2.3% (cf. Fig. 7). Ce phénomène viendra très rapidement rogner les marges et contraindre les sociétés à licencier plus violemment que d'habitude pour retrouver un équilibre.
La récente dynamique du marché du travail a permis aux salaires de progresser de 4.4% aux Etats-Unis. Cet accroissement des revenus aurait pu être une aubaine pour les ménages mais c'était sans compter sur la progression, plus rapide encore, de l'inflation des biens et services. A la différence des années 70, lors du précédent grand choc d'inflation, le marché du travail n'est pas suffisamment tendu aujourd'hui pour que les ménages espèrent négocier des hausses de salaires susceptibles de compenser la hausse des prix. In fine, les consommateurs ont perdu 2.4% de leur pouvoir d'achat (cf. Fig. 8).
L'épargne des ménages avait rapidement progressé durant les périodes de confinement, au cours desquelles les Etats avaient mis en oeuvre des aides budgétaires substantielles. Aux Etats-Unis et en Europe, le reliquat de cet excès d'épargne est détenu à 80% par les ménages les plus riches. Il a donc peu de chance d'être dépensé. Au contraire, il devrait rester placé sur les marchés financiers, au risque de s'évaporer si ces derniers chutaient davantage.
L'évolution des taux hypothécaires a également un impact majeur sur la capacité des ménages à dépenser. A mesure que leur charge d'intérêts s'accroît, leur capacité à consommer diminue. Un ménage américain endetté à 30 ans pour un bien immobilier déboursait 1'600 dollars par mois en 2021. Ce montant est passé à 2'600 dollars en 2023 (cf. Fig. 9). Le différentiel ne sera donc ni épargné, ni dépensé. Pire encore, lorsque les prix immobiliers se contracteront, les ménages verront leur patrimoine se réduire. Ils feront croître leur épargne de précaution et freineront plus encore leur consommation.
Pour boucler leur budget, certains ménages n'ont d'autre choix que la fuite en avant, en ayant recours à des crédits à la consommation. Lors d'un sondage effectué fin octobre 2022, 7 Américains sur 10 ont répondu avoir des inquiétudes financières pour les douze prochains mois. Leur première inquiétude (31%) est d'avoir à s'endetter davantage pour faire face aux nécessités, sachant que 19% l'ont déjà fait en 2022.
Malgré la vigueur des créations d'emplois, c'est donc sans surprise que la confiance du consommateur s'érode (cf. Graphique de la semaine & Fig. 10). Aux États-Unis comme en Europe, elle a touché un point bas historique en 2022. Depuis quelques mois, elle a rebondi mais demeure à un niveau déprimé,compatible avec une contraction de la consommation privée. La perte de pouvoir d'achat, la baisse de l'épargne, la hausse des charges d'intérêt et la future vague de licenciements contraignent les ménages à la sobriété. La croissance des ventes au détail, en valeur et en volume, reflète parfaitement la situation. Tandis que les premières ont progressé de 6.4% au cours des 12 derniers mois, les secondes ont stagné (cf. Fig. 11), signe que les ménages ont dépensé davantage mais pour consommer la même chose. De la même manière, en Zone Euro, les achats de biens onéreux se font de plus en plus rares (cf. Fig. 12). Priorité est donnée aux besoins fondamentaux : se nourrir, se soigner et honorer ses dettes.
Au vu de l'état de santé financière des ménages et de leur perte de confiance, les entreprises commercialisant des biens et services de première nécessité, de consommation courante et de santé, résisteront mieux que celles vendant des biens et services discrétionnaires (cf. Fig. 13).