DES ACTIONS 'VALUE', OUI MAIS PAS AMÉRICAINES

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Hebdomadaire du 7 juillet 2023
Après une excellente année 2022, les sociétés "value" sous-performent à nouveau
Par définition attractives, leurs valorisations sont devenues très bon marché
Pour surperformer, elles auront besoin d'une pentification de la courbe des rendements
Les sociétés concernées se trouvent principalement en Europe, dans les secteurs défensifs

Graphiques de la semaine : "Performance des actions 'Value' contre 'Growth' depuis 1975"

ANALYSE DES MARCHÉS BOURSIERS

"Value" et "growth" sont deux styles d'investissement en actions qui ont tendance à suivre des cycles longs. Entre 2007 et 2020, les titres de valeur (value stocks) ont presque systématiquement sous-performé (cf. Graphiques de la semaine). En moyenne, chaque année, ils ont généré 9.8% de moins que les titres de croissance (growth stocks). Cela n'a pas toujours été le cas, bien au contraire. Entre 1975 et 2006, dans 63% des cas l'approche "value" a fait mieux que l'approche "growth", générant 5.2% de performance supplémentaire. Si les investisseurs s'intéressent à nouveau aux actions "value", c'est en partie parce que, depuis 2022, elles tentent de reprendre l'ascendant. S'agit-il d'un signal erroné ou le début d'une nouvelle super-tendance ?

Le style" value " consiste à investir dans des sociétés dont les fondamentaux sont solides mais dont le cours boursier ne semble pas les refléter. Ces actions dites "bon marché" peuvent appartenir à n'importe quel secteur, mais on les trouve majoritairement parmi les financières, les services publics, les produits pharmaceutiques, la consommation courante (cf. Fig. 2), voire l’énergie, l’industrie lourde, la chimie ou les médias. Pour les détecter, à l’instar de Warren Buffett, l’investisseur "value" utilise des ratios boursiers permettant de comparer les sociétés entre elles ou à leur propre valorisation historique : prix rapporté aux bénéfices (le fameux Price-Earnings), à la valeur comptable (Price-to-Book), au chiffre d’affaires (Price- to-Sales), aux flux de trésorerie (Price-to-Cash-Flow), au dividende (Dividend Yield). La principale difficulté de cette approche consiste à éviter les sociétés qui sont décotées parce qu'elles détruisent de la valeur, les "value traps".

Fig 2 - Principaux secteurs "value"

  • Financières : les banques, compagnies d'assurance et services financiers ont des revenus récurrents leur permettant de verser de bons dividendes, ce qui est une caractéristique privilégiée par les investisseurs "value".
  • Services publics : les entreprises sont lourdement réglementées, avec de fortes barrières à l'entrée, ce qui se traduit par des bénéfices prévisibles et des dividendes élevés.
  • Soins de santé : les produits pharmaceutiques, les prestataires de soins ou les fabricants d'équipements sont peu cycliques, délivrant des bénéfices et des dividendes stables.
  • Energie : les sociétés pétrolières et gazières disposent d'actifs tangibles et sont régulièrement sous-évaluées lors des périodes où les prix de l'énergie sont faibles.
  • Biens de consommation courante : les producteurs d'aliments, de boissons, d'articles d'entretien ou de vêtements ont une demande incessante et des bénéfices peu variables.

A contrario, le style "growth" s’intéresse aux sociétés en pleine expansion, qui réinvestissent les bénéfices dans l'entreprise. Leur valeur intrinsèque future sera donc supérieure à la valeur intrinsèque actuelle. Les secteurs de la technologie informatique, de la consommation discrétionnaire ou de la technologie médicale en sont de très bons exemples (cf. Fig. 3). Pour détecter ces valeurs, l’investisseur regarde en particulier la croissance des bénéfices (de manière historique et prospective), mais aussi celle du chiffre d’affaires, des flux de trésorerie ou encore celle de la valeur comptable de l’entreprise. Les sociétés "growth" auront donc une croissance supérieure à la moyenne du marché et des multiples boursiers élevés (cf. Fig. 4). A contrario, le taux de distribution des dividendes sera faible, puisqu’elles ont besoin de réinvestir leurs bénéfices pour pouvoir soutenir leur développement. Pour l'investisseur, le principal risque du style "growth" est d’acheter des valeurs qui ne délivrent pas de résultats à la hauteur des attentes du marché.

Fig 3 - Value vs Growth : répartition sectorielle

Fig 4 - Value vs Growth : ratio de valorisation

La performance relative des actions de valeur par rapport à celles de croissance est déterminée par les principales variables suivantes :

  • L'environnement économique. En période d'expansion de l'activité, les valeurs de croissance ont tendance à mieux se comporter, car elles sont censées connaître une progression des bénéfices plus élevée. En revanche, en période de ralentissement économique, les valeurs de rendement résistent mieux, en raison de leur sous-évaluation inhérente.
  • Les taux d'intérêt. Des coûts d'emprunt peu élevés sont généralement bénéfiques pour les actions de croissance, car ils réduisent le taux d'actualisation appliqué aux bénéfices futurs, rendant ces derniers plus précieux en termes d'aujourd'hui. À l'inverse, la hausse des taux d'intérêt favorise les actions de valeur, car elles offrent des dividendes suffisamment élevés pour rendre les obligations peu attrayantes.
  • Le sentiment des investisseurs et leur goût du risque. Lorsque les investisseurs sont optimistes et que leur tolérance au risque est élevée, les actions de croissance surperforment. Dans la mesure où les prévisions de bénéfices futurs élevés sont alléchantes, les valorisations élevées ne constituent plus un obstacle. En revanche, lorsque les investisseurs sont méfiants, les actions de valeur peuvent générer de meilleures performances. Leur appartenance à des secteurs plus stables et plus matures leur octroie un profil de risque rassurant.
  • Les tendances et cycles du marché. Le rythme de croissance de l'économie favorise un style plutôt qu'un autre (cf. Fig. 5). Durant les phases d'accentuation de la tendance (expansion et récession), les actions de valeur sont habituellement plus rémunératrices. En revanche, dans les phases de retournement (pic de croissance et reprise), les actions de croissance prennent le dessus.
  • La croissance des bénéfices des entreprises. Une forte expansion des revenus est bénéfique pour les actions de croissance, étant donné que leurs ratios cours/bénéfices plus élevés sont fondés sur des profits futurs importants. À l'inverse, les actions de valeur, dont le prix est souvent fixé en fonction d'une plus faible croissance attendue des bénéfices et d'une marge de sécurité, sembleront moins attractives et afficheront des performances inférieures.
  • Le taux d'inflation. La hausse des prix favorise les actions de valeur qui ont la capacité à répercuter la hausse des coûts sur les consommateurs (comme le secteur des matières premières) ou à bénéficier de l'augmentation des taux d'intérêt (comme les sociétés financières). A contrario, les titres de croissance souffrent, car les bénéfices futurs valent moins en dollars d'aujourd'hui.

Fig 5 - Stratégies d'allocation d'actifs en fonction du cycle économique.

Aux États-Unis, les titres de valeur ont plus de mal à surperformer les titres de croissance qu'ailleurs dans le monde. La raison est à la fois simple et structurelle. Depuis le début des années 1990, les sociétés technologiques sont sur une tendance très porteuse et les américaines ont réussi à se positionner comme des leaders : Microsoft, Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix, Tesla, Nvidia, etc. Lors du développement d'internet, du déploiement de la téléphonie mobile, de la digitalisation de l'économie et, désormais, de l'essor de l'intelligence artificielle, ces sociétés ont vu leurs cours boursiers s'envoler. Dans ce contexte, il est facile de comprendre pourquoi, aux États- Unis plus qu'ailleurs, les titres de valeur sous-performent ceux de croissance. Dans le reste du monde et notamment en Europe, la comparaison est moins difficile. C'est essentiellement pour cette raison que les investisseurs cherchent à arbitrer la performance des actions "value" contre "growth" en Europe. Les sociétés de valeur sont bon marché par nature mais, à l'heure où nous écrivons, elles sont très bon marché. Le ratio cours/bénéfices des actions mondiales est relativement élevé au vu de son historique. Néanmoins, en le décomposant (cf. Fig. 6), il apparaît que celui des actions "value" est resté faible (12x) tandis que celui des actions "growth" a considérablement augmenté (30x).

Fig 6 - Value vs Growth : ratios de valorisation

Après une longue traversée du désert, quel pourrait être le déclencheur d'un retour en grâce des actions "value" ? Kenneth Fisher, ancien chroniqueur vedette du magazine Forbes pour la chronique "Portfolio Strategy", fondateur et président de Fisher Investments, fournit une excellente réponse à cette question. Dans le plus connu de ses onze livres, The Only Three Questions that Count, il décrit comment la courbe des rendements permet d'anticiper la performance des actions de valeur et de croissance, les unes par rapport aux autres. La théorie est simple et peut se résumer en deux phrases. Après une période d'inversion, lorsque la courbe des rendements se repentifie, les banques ont tellement eu de mal à générer des revenus qu'elles ne prêtent qu'aux sociétés de bonne qualité : les sociétés de valeur. Ces dernières ayant un meilleur accès au capital, il leur est plus facile d'accroître leurs bénéfices et de voir leur cours boursier surperformer celui des sociétés de croissance.

Fig 7&8 - Value vs Growth : courbe des rendements, aux Etats-Unis et en Europe

Le raisonnement est simple mais efficace. Depuis 2009, la théorie de Ken Fisher a fourni un track-record quasiment parfait, à l'exception du choc lié à la pandémie de Covid-19 pour les titres américains (cf. Fig. 7 et Fig. 8). Cette fois encore, lorsque les investisseurs anticiperont que la Fed abaissera ses taux directeurs et que la courbe des taux se repentifiera, le style "value" bénéficiera de la rotation cyclique au détriment du style "growth". Il est encore un peu tôt, mais ce n'est qu'une question de mois. Ensuite, le potentiel d'appréciation sera à la hauteur de la dynamique des bénéfices (cf. Fig. 9 et Fig. 10).

Fig 9&10 - Value vs Growth : progression relative des bénéfices, aux Etats-Unis et en Europe

Conclusion :

Les actions "value" semblent prêtes pour un rebond. Elles ont besoin d'un élément déclencheur pour débuter un cycle de surperformance par rapport aux actions "growth" : une récession ou, mieux encore, une pentification de la courbe des rendements. L'histoire d'amour des investisseurs avec les valeurs de croissance finira par devenir moins passionnelle, plus raisonnée. Ilsregarderont au-delà de la dynamique des FAANG et du développement de l'intelligence artificielle (AI). En Europe, où les sociétés technologiques sont moins représentées dans les indices et où les valorisations sont plus attractives, les investisseurs n'auront aucune hésitation à plébisciter les titres "value". Ils sont sur le point de réveiller le Warren Buffett qui sommeille en eux.

RENDEMENT DES ACTIFS FINANCIERS