"Value" et "growth" sont deux styles d'investissement en actions qui ont tendance à suivre des cycles longs. Entre 2007 et 2020, les titres de valeur (value stocks) ont presque systématiquement sous-performé (cf. Graphiques de la semaine). En moyenne, chaque année, ils ont généré 9.8% de moins que les titres de croissance (growth stocks). Cela n'a pas toujours été le cas, bien au contraire. Entre 1975 et 2006, dans 63% des cas l'approche "value" a fait mieux que l'approche "growth", générant 5.2% de performance supplémentaire. Si les investisseurs s'intéressent à nouveau aux actions "value", c'est en partie parce que, depuis 2022, elles tentent de reprendre l'ascendant. S'agit-il d'un signal erroné ou le début d'une nouvelle super-tendance ?
Le style" value " consiste à investir dans des sociétés dont les fondamentaux sont solides mais dont le cours boursier ne semble pas les refléter. Ces actions dites "bon marché" peuvent appartenir à n'importe quel secteur, mais on les trouve majoritairement parmi les financières, les services publics, les produits pharmaceutiques, la consommation courante (cf. Fig. 2), voire l’énergie, l’industrie lourde, la chimie ou les médias. Pour les détecter, à l’instar de Warren Buffett, l’investisseur "value" utilise des ratios boursiers permettant de comparer les sociétés entre elles ou à leur propre valorisation historique : prix rapporté aux bénéfices (le fameux Price-Earnings), à la valeur comptable (Price-to-Book), au chiffre d’affaires (Price- to-Sales), aux flux de trésorerie (Price-to-Cash-Flow), au dividende (Dividend Yield). La principale difficulté de cette approche consiste à éviter les sociétés qui sont décotées parce qu'elles détruisent de la valeur, les "value traps".
A contrario, le style "growth" s’intéresse aux sociétés en pleine expansion, qui réinvestissent les bénéfices dans l'entreprise. Leur valeur intrinsèque future sera donc supérieure à la valeur intrinsèque actuelle. Les secteurs de la technologie informatique, de la consommation discrétionnaire ou de la technologie médicale en sont de très bons exemples (cf. Fig. 3). Pour détecter ces valeurs, l’investisseur regarde en particulier la croissance des bénéfices (de manière historique et prospective), mais aussi celle du chiffre d’affaires, des flux de trésorerie ou encore celle de la valeur comptable de l’entreprise. Les sociétés "growth" auront donc une croissance supérieure à la moyenne du marché et des multiples boursiers élevés (cf. Fig. 4). A contrario, le taux de distribution des dividendes sera faible, puisqu’elles ont besoin de réinvestir leurs bénéfices pour pouvoir soutenir leur développement. Pour l'investisseur, le principal risque du style "growth" est d’acheter des valeurs qui ne délivrent pas de résultats à la hauteur des attentes du marché.
Aux États-Unis, les titres de valeur ont plus de mal à surperformer les titres de croissance qu'ailleurs dans le monde. La raison est à la fois simple et structurelle. Depuis le début des années 1990, les sociétés technologiques sont sur une tendance très porteuse et les américaines ont réussi à se positionner comme des leaders : Microsoft, Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix, Tesla, Nvidia, etc. Lors du développement d'internet, du déploiement de la téléphonie mobile, de la digitalisation de l'économie et, désormais, de l'essor de l'intelligence artificielle, ces sociétés ont vu leurs cours boursiers s'envoler. Dans ce contexte, il est facile de comprendre pourquoi, aux États- Unis plus qu'ailleurs, les titres de valeur sous-performent ceux de croissance. Dans le reste du monde et notamment en Europe, la comparaison est moins difficile. C'est essentiellement pour cette raison que les investisseurs cherchent à arbitrer la performance des actions "value" contre "growth" en Europe. Les sociétés de valeur sont bon marché par nature mais, à l'heure où nous écrivons, elles sont très bon marché. Le ratio cours/bénéfices des actions mondiales est relativement élevé au vu de son historique. Néanmoins, en le décomposant (cf. Fig. 6), il apparaît que celui des actions "value" est resté faible (12x) tandis que celui des actions "growth" a considérablement augmenté (30x).
Après une longue traversée du désert, quel pourrait être le déclencheur d'un retour en grâce des actions "value" ? Kenneth Fisher, ancien chroniqueur vedette du magazine Forbes pour la chronique "Portfolio Strategy", fondateur et président de Fisher Investments, fournit une excellente réponse à cette question. Dans le plus connu de ses onze livres, The Only Three Questions that Count, il décrit comment la courbe des rendements permet d'anticiper la performance des actions de valeur et de croissance, les unes par rapport aux autres. La théorie est simple et peut se résumer en deux phrases. Après une période d'inversion, lorsque la courbe des rendements se repentifie, les banques ont tellement eu de mal à générer des revenus qu'elles ne prêtent qu'aux sociétés de bonne qualité : les sociétés de valeur. Ces dernières ayant un meilleur accès au capital, il leur est plus facile d'accroître leurs bénéfices et de voir leur cours boursier surperformer celui des sociétés de croissance.
Le raisonnement est simple mais efficace. Depuis 2009, la théorie de Ken Fisher a fourni un track-record quasiment parfait, à l'exception du choc lié à la pandémie de Covid-19 pour les titres américains (cf. Fig. 7 et Fig. 8). Cette fois encore, lorsque les investisseurs anticiperont que la Fed abaissera ses taux directeurs et que la courbe des taux se repentifiera, le style "value" bénéficiera de la rotation cyclique au détriment du style "growth". Il est encore un peu tôt, mais ce n'est qu'une question de mois. Ensuite, le potentiel d'appréciation sera à la hauteur de la dynamique des bénéfices (cf. Fig. 9 et Fig. 10).
Les actions "value" semblent prêtes pour un rebond. Elles ont besoin d'un élément déclencheur pour débuter un cycle de surperformance par rapport aux actions "growth" : une récession ou, mieux encore, une pentification de la courbe des rendements. L'histoire d'amour des investisseurs avec les valeurs de croissance finira par devenir moins passionnelle, plus raisonnée. Ilsregarderont au-delà de la dynamique des FAANG et du développement de l'intelligence artificielle (AI). En Europe, où les sociétés technologiques sont moins représentées dans les indices et où les valorisations sont plus attractives, les investisseurs n'auront aucune hésitation à plébisciter les titres "value". Ils sont sur le point de réveiller le Warren Buffett qui sommeille en eux.