De Paris à Bordeaux, en passant par Lyon, le marché de l'immobilier résidentiel a commencé à se crisper et les perspectives sont moroses (cf. Graphique de la semaine). Alors que les prix des maisons et appartements stagnent dans l’ancien, ils reculent déjà dans le neuf. Au cours des dernières années, le marché immobilier s’est caractérisé par une offre restreinte et une demande forte. Ce phénomène a été amplifié durant la pandémie de Covid-19 lorsque la pénurie de matériaux d'une part et le besoin de vivre à son aise d'autre part ont donné un avantage excessif aux vendeurs vis-à-vis des acquéreurs.
Entre 2019 et 2022, les prix de l'immobilier résidentiel ont progressé de 20% dans l'Hexagone. Aujourd'hui et comme lors de la Grande Crise Financière (GFC) de 2008, l'équilibre entre l'offre et la demande ne parvient à être trouvé qu'à la condition d'une baisse des prix. Les facteurs explicatifs sont multiples :
▪ Les prix de l'immobilier résidentiel étaient trop élevés. Comme nous l'avions analysé lors de notre précédente étude (cf. Stratégie & Thématiques du 4 juillet 2022), ils ont atteint des niveaux incohérents avec le revenu disponible des ménages. Après avoir touché un record vieux d'un siècle, le ratio n'a effacé qu'une petite partie de l'excès accumulé (cf. Fig. 2). Par rapport aux loyers, la comparaison n'est pas plus flatteuse et demeure très clairement en défaveur d'un achat immobilier (cf. Fig. 3).
▪ Le pouvoir d'achat des ménages s'érode avec l'inflation. Le salaire horaire moyen des Français a progressé de 5.2% entre mars 2022 et mars 2023, moins vite que l'indice des prix à la consommation qui s'arrogeait 6.7% sur la même période (cf. Fig. 4). Par ailleurs, les promoteurs immobiliers ont la capacité contractuelle de répercuter sur les acquéreurs l'inflation des matériaux de construction, si leurs prix augmentent par rapport au devis initial. Ce faisant, les prix de vente finaux des nouveaux logements se sont considérablement accrus. Certains ménages sont dans l'incapacité de faire face à ces frais imprévus et à l'alourdissement des mensualités qui en découlent. Face à cette difficulté, certains n'ont d'autre choix que de revendre leur maison nouvellement construite.
▪ Les conditions de crédit se durcissent doublement. D'une part, les taux hypothécaires sont passés de 1% à 3.5% en l'espace de 24 mois (cf. Fig. 5) et, d'autre part, les exigences des banques pour octroyer des prêts hypothécaires se sont renforcées. Face au risque croissant de défaillance des emprunteurs, elles leur demandent davantage de garanties. En juin 2023, les banques françaises ont ainsi accordé 41% de crédits hypothécaires de moins qu'un an auparavant.
▪ L'apport initial nécessaire pour acquérir un bien immobilier est plus élevé que par le passé. Non seulement les prix immobiliers ont augmenté, faisant mécaniquement croître le montant de la mise de fonds préalable, mais celle-ci doit désormais représenter près de 35% du bien, contre 5% il y a 4 ans. En cas de vente forcée du bien immobilier, dans des conditions dégradées, le créancier augmente ainsi sa probabilité de retrouver son capital.
Au-delà des considérations théoriques, le dégonflement de la bulle immobilière est très concret.
Prenons un exemple :
▪ En 2019, un ménage français moyen, qui souhaitait acquérir un bien immobilier d'une valeur de 218'274beuros devait disposer d'un apport personnel de 11'040 euros et pouvait emprunter à sa banque 207'234euros à 1.2% sur 25 ans. A l'échéance, après avoir versé 31'884 euros d'intérêts cumulés, ce bien lui aurait coûté 250'158 euros (cf. Fig. 6).
▪ En 2023, ce même bien vaut 258'000 euros mais, au vu des règles d'octroi de crédits, la banque lui demandera 89'422 euros d'apport et ne lui prêtera que 168'075 euros à un taux de 4% sur 25 ans, pour un coût final de 355'570 euros dont 98'073 euros d'intérêts cumulés.
En quatre ans, en raison de l'envolée des prix immobiliers et de la hausse des taux d'intérêt, la capacité d’emprunt des ménages a reculé de 19% et leur capacité d'accession à la propriété, de 30%.
Si les prix de l'immobilier résidentiel chutent dans une majorité du territoire français, il existe d'importantes disparités selon les départements (cf. Fig. 7). Pendant que les prix reculent significativement à Bordeaux, Lyon et Paris, ils résistent dans les villes qui bénéficient d’une forte attractivité comme Nice et Marseille, ou d’un effet de rattrapage comme Strasbourg.
D'autres facteurs viendront amplifier la correction du marché immobilier :
▪ La hausse du taux de chômage. A mesure que les créations d'emploi céderont la place aux licenciements, le revenu des ménages diminuera. Leur capacité d'achat de nouveaux logements ou de remboursement de prêts existants faiblira. Le manque de vigueur de la demande accentuera la pression baissière sur les prix immobiliers.
▪ Le sentiment de marché est en train de tourner de l'optimisme au pessimisme. Jusqu'à récemment et compte tenu de la hausse des taux de crédit, les acquéreurs cherchaient à passer à l’acte rapidement. Désormais, ils sont 7 sur 10 à déclarer vouloir reporter leur projet d’acquisition. Ils espèrent une baisse des taux ou des prix de l’immobilier.
Les premiers impactés par cette problématique sont les primo-accédants. Ils ne représentent plus que 27% des acquéreurs, contre plus de 50% auparavant. Le plus souvent, c'est la surface qui leur servait de variable d'ajustement. Pour être en mesure d'aller au bout de leur projet d'achat immobilier, ils achetaient une pièce ou deux de moins. Demain, ils n'auront d'autre choix que de faire chuter le prix du bien qu'ils convoitent… soit en s'éloignant de leur zone de préférence, soit en renonçant à une partie du confort (travaux de rénovation), soit en persuadant les vendeurs de leur concéder une décote.
Aussi désagréable qu'il puisse paraître, ce cycle immobilier est relativement classique. La bulle a mis près de sept ans à se former et son dégonflement s'effectue par étapes :
1- Début 2022, les prix de l'immobilier résidentiel ont arrêté de croître.
2- Au second semestre 2022, les vendeurs refusant de baisser leurs prix et les acheteurs n'ayant plus les mêmes moyens, les transactions se sont taries. Par ailleurs, certains propriétaires étaient réticents à déménager car vendre leur logement pour en acheter un nouveau aurait impliqué un emprunt hypothécaire beaucoup plus coûteux.
3- Lors des premiers mois de l'année 2023, l'attentisme était de mise : les vendeurs espéraient une reprise du marché tandis que les acheteurs étaient devenus frileux à mesure que la crise immobilière faisait la une des journaux. L'offre de logements existants étant faible, les nouveaux acheteurs se tournaient vers les constructions neuves.
4- Aujourd'hui et pour les 18 prochains mois, une partie des vendeurs - ceux qui sont dans l'urgence - sont en train d'accepter une décote et d'initier la vague de contraction des prix. Pour les autres, ce sera la course à la baisse des prix, dans l'objectif d'avoir un coup d'avance et éviter d'enregistrer une lourde perte.
5- En fin de cycle, certains propriétaires seront contraints de vendre à perte, engendrant une méfiance générale des ménages vis-à-vis de l'investissement immobilier résidentiel, freinant la future reprise du marché. Il sera temps d'acheter.
Une diminution de 20% des prix immobiliers serait nécessaire, à environnement de taux constant, pour permettre aux acquéreurs de décrocher un crédit et ainsi d’accéder à la propriété. Sans cela, la situation du marché immobilier demeurera sclérosée.