Le concept d'efficience des marchés est essentiel en finance. Il suggère que les prix des actifs reflètent, en tout temps, l'intégralité de l'information disponible. L'efficience découle non seulement de l'accessibilité à cette information, mais aussi de la capacité cognitive des investisseurs et de leur comportement. Si les investisseurs sont bien informés, compétents, rationnels et en mesure d'agir rapidement, alors ils contribuent à la création d'un marché qui reflète de manière précise et instantanée la juste valeur des actifs. Il devient alors impossible pour un investisseur d'obtenir un rendement supérieur sans prendre un risque supplémentaire. Nous avons récemment analysé que ce n'était pas le cas actuellement et qu'un arbitrage pouvait être fait entre les actions et les obligations, au profit des secondes dont les rendements escomptés sont identiques pour des risques moindres (cf. Stratégie &Thématiques du 14 août).
Cette nouvelle analyse, en lien avec le cycle économique et la santé des entreprises, permet de mettre en évidence d'autres formes d'inefficience du marché des actions. La logique voudrait que les indices boursiers anticipent avec précision les tendances macro et micro-économiques. Pourtant, depuis la fin 2022, la progression des indices boursiers contraste avec l'évolution de plusieurs variables fondamentales :
Les investisseurs considèrent, à juste titre, que les actions cotées progressent en ligne avec l'expansion de la production. Si cette relation n'est pas garantie sur de courtes périodes, comme en 2021 par exemple, elle est une des plus solides à long terme. En 2023, au vu des fondamentaux économiques, l'envolée des indices actions semble de nouveau avoir été disproportionnée. Pour combler l'écart entre la situation économique et la situation boursière, il faudrait soit une croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) de +4%, soit une correction boursière de -12%, soit une combinaison des deux.
Toutes choses égales par ailleurs, plus les entreprises génèrent de bénéfices, plus leurs cours boursiers s'apprécient.Inversement, lorsque les profits se contractent, une correction boursière survient. Pour justifier un indice S&P 500 à 4'500 dollars, il faudrait que les bénéfices progressent de +14% par rapport à leur niveau actuel, bien loin des normes historiques en période de récession (-12% à -44%).
Depuis la Grande CriseFinancière (GCF) en 2008-2009, les banques centrales ont adopté de nouveaux outils de politique monétaire. L'un d'entre eux vise à injecter de la liquidité en excès dans l'économie (QuantitativeEasing) de manière à stimuler la croissance et l'inflation. Pour ce faire, les banques centrales achètent d'importants volumes d'actifs financiers, ce qui favorise mécaniquement la hausse des cours boursiers. Depuis 18 mois, les banques centrales cherchent à inverser cette politique (QuantitativeTightening). Cette diminution des bilans a naturellement contribué à la correction boursière de 2022.Or, depuis avril 2023, la relation semble rompue, sinon les indices boursiers seraient inférieurs de -20% à -25% à leur niveau actuel.
Lorsqu'ils achètent des actions, les investisseurs ont la possibilité de financer eux-mêmes la totalité de cet achat (en utilisant leurs "fonds propres",également appelés "marge") ou d'emprunter une partie du capital nécessaire auprès d'un courtier (en utilisant une "dette sur marge"). Les volumes de dettes sur marge ont ainsi tendance à augmenter à mesure que les indices boursiers s'apprécient. Aujourd'hui, ces volumes sont anormalement faibles, indiquant que les investisseurs utilisent peu l'effet de levier. La première explication tient au niveau élevé des taux d'intérêt, qui fait croître le coût d'emprunt des comptes sur marge et freine mécaniquement l'endettement des investisseurs. La deuxième explication est liée à l'anxiété des investisseurs professionnels. Même si les marchés boursiers se portent bien, s'ils estiment qu'ils sont surévalués et qu'une correction s'impose, alors ils seront peu enclins à emprunter et exposer davantage leurs portefeuilles. Afin de compenser l'écart entre le niveau des indices boursiers et le volume des dettes sur marge, il faudrait une contraction de -20% des premiers ou une progression de+20% des secondes.
Lorsque l'économie est en expansion, les entreprises de consommation cyclique, comme l'automobile, le tourisme ou les biens d'équipement, ont tendance à voir leurs revenus augmenter de manière plus prononcée. A contrario, les entreprises de consommation courante, liées à la nourriture, aux produits d'hygiène, aux médicaments ou aux services publics, jouissent d'une demande plus stable et de revenus plus réguliers, même en période de crise. De surcroît, les premières ont souvent un effet de levier opérationnel plus élevé que les secondes. Ainsi, une petite augmentation des ventes leur permet de générer une croissance proportionnellement plus importante des bénéfices. Ces deux dernières années, les investisseurs ont eu du mal à maintenir la relation historique entre la progression des marchés boursiers et la sur performance des titres de consommation cyclique. Malgré le rattrapage de2023, un écart significatif de +/- 20% les sépare toujours.
Au vu des exemples recensés, le bull market n'est pas alimenté par des facteurs fondamentaux. Seuls l'optimisme des investisseurs individuels et les valorisations ont augmenté (cf. Fig. 5). Les brèches à combler sont de grande taille. De deux choses l'une : soit le cycle économique et les bénéfices des sociétés s'améliorent rapidement, soit la prochaine correction boursière sera brutale.