INFLATION, DÉSINFLATION, DÉFLATION, QUELLE OPTION ?

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Après deux ans de forte augmentation des prix, un retour à la normale serait salutaire
Mais lorsque l'inflation s'installe, il est difficile de s'en débarrasser
Les entreprises répercutent les hausses de salaires sur leurs prix de vente
Aux États-Unis comme en Zone Euro, l'inflation se stabilisera entre 2% et 4%

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "Le pic est derrière nous mais l'inflation n'a pas disparu"

ANALYSE ÉCONOMIQUE

Après quarante ans de stabilité des prix, mais surtout après deux ans d'inflation anormalement élevée, les investisseurs scrutent de près l'évolution des prix. Ils cherchent à déterminer à quel environnement ils seront prochainement confrontés : l'inflation, la désinflation ou la déflation ? Si l'inflation est moins souhaitable que la désinflation, la déflation constitue un véritable fléau.

Pour mémoire, l'évolution des prix peut prendre trois formes distinctes :

  • L'inflation réduit la capacité d'investissement des entreprises et le pouvoir d'achat des consommateurs. Elle induit également une hausse des taux directeurs des banques centrales.
  • La désinflation est le scénario rassurant dans lequel se situent les principales économies depuis quelques mois : les prix progressent, mais moins vite. Cette situation permet d'ancrer les anticipations d'inflation et de ne pas perturber les acteurs économiques.
  • La déflation est particulièrement préoccupante. Les entreprises et les consommateurs retardent leurs achats en espérant que les prix continueront à baisser. Cette baisse de la demande vient entretenir la contraction des prix, générant une spirale déflationniste. Dans le même temps, la charge de la dette augmente en termes réels, rendant celle-ci de moins en moins soutenable.

La spirale déflationniste qui fait rage au Japon depuis trente ans illustre à quel point elle constitue le pire des scénarii. Pour en sortir, lors de la Grande Dépression des années 1930, les Etats-Unis avaient dû mettre en oeuvre le "New Deal", dévaluer le dollar et durcir les réglementations du secteur financier.

Pour prévoir l'inflation, il est préférable de la décomposer en deux agrégats :

  • Une composante "sous-jacente" liée au cycle économique (cf. Fig. 2 & 4). Si l'économie est en surchauffe, l'inflation de base accélère. Et inversement. L'écart entre le niveau réellement observé du Produit Intérieur Brut (PIB) et son niveau potentiel, que les économistes nomment "output gap", permet d'avoir une bonne estimation de l'inflation sous-jacente à venir.
  • Une composante "annexe" dépendante des prix de l'énergie et des denrées alimentaires (cf. Fig. 3 & 5). Sans surprise, le cours du baril de pétrole est une aide précieuse pour anticiper cette composante volatile de l'inflation.

L'écart de production d'une part et les prix du pétrole d'autre part ont été incroyablement efficaces pour prévoir l'inflation jusqu'en 2019. Toutefois, depuis la pandémie en 2020, la hausse des prix a été anormale. L'inflation sous-jacente a progressé deux à trois fois plus rapidement que ne le suggèrent les tensions sur le cycle économique aux États-Unis et en Zone Euro (cf. Fig. 2 & 4). Les politiques fiscales mises en oeuvre par les gouvernements durant la crise sanitaire ont été disproportionnées. Elles ont généré un tel excès d'épargne chez les ménages, que les entreprises se sont retrouvées avec un pouvoir de fixation des prix (pricing power) bien trop fort. Parallèlement, au cours des différentes phases de confinement et réouverture des économies, les pénuries se sont enchaînées. L'offre a été contrainte par la faible production ainsi que par les problématiques de transport et d'approvisionnement. A eux seuls, ces différents phénomènes ont généré environ 3.5% d'inflation additionnelle par an… et ils ont du mal à se dissiper.

Depuis mars 2022 et la guerre en Ukraine, les prix de l'énergie, des engrais et des céréales se sont envolés. La situation géopolitique a favorisé la flambée de l'inflation "annexe" de 3% à 5% supplémentaires, selon que l'on se trouve aux États-Unis ou en Zone Euro (cf. Fig. 3 & 5). Aujourd'hui, même si la guerre continue de faire rage, les prix de ces matières premières se sont stabilisés et ne contribuent donc plus à l'inflation.

Pour aller plus loin dans l'analyse, il convient d'intégrer quelques prévisions à nos modélisations économétriques. Les hypothèses retenues sont celles d'une poursuite des distorsions extraordinaires qui prévalent depuis 2020, d'une récession économique et d'un interventionnisme actif de la part de l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). Dans ce scénario, l'écart de production devrait passer en territoire négatif aux États-Unis et en Zone Euro, tandis que le baril de pétrole aura du mal à chuter brutalement et durablement. Les prix à la consommation continueront donc de croître mais à un rythme moins soutenu qu'en 2022, aux États-Unis comme en Europe, permettant à l'inflation de se stabiliser entre 2% et 4% (cf. Graphique de la semaine).

Autour de ce scénario central, chacun aura la liberté de faire varier les hypothèses. De manière mécanique, chaque point de croissance du PIB générera 2% d'inflation "sous-jacente" supplémentaire aux États-Unis et 1% en Zone Euro. Chaque hausse du baril de 40% impliquera 1% d'inflation "annexe"additionnelle, des deux côtés de l'Atlantique.

Quelle que soit la fiabilité des modèles utilisés, ils demeurent imparfaits. Ils ne prennent en compte ni les crises sanitaires, ni les tensions géopolitiques, ni les avaries climatiques. Par exemple, si l'été est caniculaire ou si l'hiver est glacial, la consommation d'énergie s'en trouvera impactée. De même, si la guerre en Ukraine ou les tensions vis-à-vis de Taiwan s'intensifient, les prix des denrées alimentaires, des engrais ou des semi-conducteurs seront sous pression haussière. Dans ces cas-là, l'inflation accélérera.

De nombreux instituts d'analyse économique publient des indicateurs avancés et des prévisions d'inflation à 12 ou 24 mois. Ils ne sont pas nécessairement plus fiables que nos modèles. En revanche, les enquêtes d'opinion effectuées auprès des directeurs d'achat sont très puissantes pour prévoir l'inflation à horizon de 3 à 6 mois, aux États-Unis (cf. Fig. 6) ou en Zone Euro (cf. Fig. 7). Au vu des sondages récemment publiés, la première phase de notre scénario s'en trouve renforcée : l'inflation devrait continuer de reculer au cours des prochains mois. Les enquêtes qui seront effectuées auprès des directeurs d'achat d'ici la fin de l'année devront valider la deuxième phase : une stabilisation de l'inflation entre 2% et 4% en 2024.

Habituellement, l'inflation à long terme est entretenue par la progression des salaires. Face à une hausse initiale des coûts de production, et dans l'objectif de conserver leurs marges, les entreprises augmentent leurs prix de vente. Si les salaires progressent de concert, pour éviter une perte de pouvoir d'achat des ménages, alors une boucle prix-salaires se met en place. Le phénomène est pervers dans la mesure où il est réciproque : l'augmentation de l'un entraîne celle de l'autre. Aux États-Unis, selon les dernières statistiques publiées, le salaire horaire moyen a progressé de 4.4% en un an (cf. Fig. 8). Il est en nette décélération depuis son taux de 6% en mars 2022, mais toujours significativement supérieur à la fourchette de 1.6% à 3.6% observée au cours de la décennie précédente et que Jerome Powell souhaite retrouver au plus vite. Pour ce faire, il faudrait que le taux d'emplois vacants se contracte plus fortement que ne grimpe le taux de chômage (cf. Fig. 9). Une fois encore, le scénario d'une stabilisation de l'inflation à un niveau relativement élevé se confirme.

Le taux d'inflation recule significativement mais les prix demeureront élevés. Initialement conséquence d’un choc d’offre et d’une stimulation excessive de la demande, l’inflation est désormais liée aux pressions salariales et s'étend au secteur des services, tandis que les prix de l'énergie se stabilisent (cf. Fig. 10). Comme dans les années 70, de chocs pétroliers en contre-chocs énergétiques, de politiques monétaires restrictives en mesures de relance, l'inflation oscillera fortement mais elle restera structurellement élevée (cf. Fig. 11).

Conclusion

Les craintes des investisseurs concernant une nouvelle accélération de l'inflation en 2023 sont en train de se dissiper définitivement : la désinflation est en cours et elle prend place plus vite que prévu. Aux États-Unis comme en Europe, notre scénario central demeure celui d'une stabilisation de la dynamique des prix, non plus entre 4% et 6% comme escompté précédemment, mais entre 2% et 4% par an.

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