La fin des restrictions sanitaires en décembre 2022 devait permettre un redémarrage dynamique de l'économie chinoise en 2023. Six mois se sont écoulés et la réalité n'est pas à la hauteur des espérances. La reprise peine à se concrétiser dans les secteurs en difficulté, comme l'immobilier, et s'essouffle déjà dans ceux qui se portent bien, comme la consommation discrétionnaire. Conscient des difficultés, le gouvernement chinois table désormais sur une croissance de 5% cette année, le rythme le plus faible depuis 1976. Les indicateurs avancés, que ce soit celui compilé par Bloomberg (cf. Fig. 2), par l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) ou par le Bureau National des Statistiques (NBS), délivrent un message plus optimiste où le soutien des pouvoirs publics et la mise en oeuvre d'un plan de relance permettraient une accélération de la croissance.
L'économie du géant asiatique est pénalisée par plusieurs facteurs :
1. Le ralentissement économique mondial pèse sur la demande de biens chinois. Alors que le secteur des services s'est rapidement normalisé (cf. Fig. 3), l'activité industrielle est sous pression en raison d'un processus de déstockage et de la baisse des exportations. En mai, la production industrielle a ralenti à +3.5% en rythme annuel, tandis que les exportations se sont contractées de -7.5% (cf. Fig. 4).
2. Dans un contexte d'incertitude sur le marché du travail, la consommation des ménages contribue trop peu à la croissance (cf. Fig. 5). Les offres d'emploi se tarissent dans le secteur privé, y compris à Shenzhen surnommée la "Silicon Valley chinoise". Les entreprises sont pénalisées par les durcissements réglementaires appliqués aux secteurs des nouvelles technologies, de l'immobilier ou du soutien scolaire. Le léger recul du taux de chômage dans les grandes villes chinoises, passant de 6.1% à 5.2%, est trompeur. Il vient par exemple d'atteindre un record à 20.8% chez les jeunes âgés de 16 à 24 ans (cf. Fig. 6). Ce ratio pourrait encore augmenter en juillet, lorsque 11 millions de nouveaux diplômés de l’enseignement supérieur arriveront sur le marché du travail. Par dépit, certains tenteront de décrocher un emploi de fonctionnaire. Les plus désabusés finiront par reprendre des études ou, plus extrême, se filmeront en train de jeter leurs diplômes à la poubelle.
Le cercle vicieux semble clair : les entreprises hésitent à embaucher en raison de la faiblesse de la demande des consommateurs, tandis que les consommateurs hésitent à dépenser en raison de la faiblesse du marché de l’emploi. Après un fort rebond technique en début d'année, les ventes au détail, principal indicateur de la consommation des ménages, sont déjà en train de se tasser. Les services de restauration, les voitures, les appareils de communication et les produits de luxe ont connu une forte expansion. Au contraire, la consommation d'aliments, de boissons et de matériaux de construction a diminué. Pour l'instant, l'épargne de 5'000 milliards de yuans (695 milliards de dollars, cf. Fig. 7) accumulée par les ménages durant les trois ans de Covid-19 n'a que très peu été utilisée pour consommer. Pire, le taux d'épargne est supérieur à son niveau d'avant crise et les dépôts ont augmenté au premier trimestre.
3. Le secteur immobilier, traditionnel pilier de croissance, constitue désormais l'un des principaux freins. Les Chinois avaient pour habitude d'investir dans la pierre, en acquérant un deuxième voire un troisième bien immobilier. Le surendettement des promoteurs comme Evergrande, et l'implosion du marché qui en a découlé, a généré d'importantes moins-values pour les ménages chinois. Leurs stratégies pour placer leur épargne sont désormais moins axées sur ce type d'actifs. C'est donc sans surprise que le ralentissement du secteur immobilier s'est accentué en mai, les ventes et les prix des logements diminuant (cf. Fig. 8). Seule la construction de nouveaux bâtiments a continué à croître par rapport à l'année précédente.
Parmi les risques exogènes au cycle économique, les deux principaux sont les suivants :
4. L'environnement géopolitique entre les États-Unis et la Chine se détériore. Les tensions au sujet de l'autonomie de Taiwan, de la collaboration avec la Russie, ou encore de l'envoi de ballons-espions, continuent d'inquiéter les investisseurs. Les récentes déclarations de Joe Biden, qualifiant Xi Jinping de "dictateur", n'amélioreront pas ce sentiment. Plus les pays occidentaux chercheront à diversifier leur approvisionnement, plus cela pèsera sur le potentiel d'exportation de la Chine.
5. Les restrictions réglementaires des Chinois et des Américains freinent la croissance. Lorsque Pékin démantèle des conglomérats comme Alibaba ou reprend la direction de certaines filières comme l'éducation en ligne, son ingérence fragilise la création de valeur ajoutée et restreint les flux de capitaux étrangers. De la même manière, lorsque Washington empêche les exportations de certains semi-conducteurs et puces haut de gamme, il freine le progrès technologique de la Chine.
Toutefois, la Chine possède plusieurs atouts dans sa manche :
L'objectif économique de la Chine est désormais celui d'une "croissance de haute qualité", notamment via la technologie et l'innovation, l'égalité des revenus (prospérité commune), la sauvegarde de la stabilité financière, le renforcement de la sécurité nationale et la transition verte. Cet objectif multiple suppose une implication stratégique de l'Etat et une plus grande tolérance à l'égard d'une croissance faible. Pour autant, les mécanismes de marché doivent continuer de fonctionner. Aucune politique visant à soutenir directement la demande, ni aucune mesure d'assouplissement supplémentaire dans le secteur de l'immobilier, n'ont été annoncées.
Ces cinq dernières années, les indices boursiers chinois ont délivré des résultats décevants. L'indice MSCI China a reculé de -20% et les principales actions échangées à Shangaï et Shenzhen, regroupées dans le CSI 300, n'ont progressé que de +8%. L'Euro Stoxx et le S&P 500 américain s'arrogeaient respectivement +20% et +60% sur cette période. Même au sein des actions émergentes, la Chine a sous-performé (cf. Fig. 11).
Dans un premier temps, la politique zéro covid et les mesures réglementaires restrictives permettaient d'expliquer la contre-performance des actions chinoises. Alors que ces deux facteurs semblaient révolus, le nouveau recul des cinq derniers mois (cf. Graphique de la semaine) a fini par dissuader les investisseurs les plus patients. Désormais, seuls ceux qui ont des objectifs à long terme ou qui allouent un poids minimal à la Chine de manière stratégique sont encore investis. Selon les dernières données disponibles, les actions ont enregistré des entrées marginales aux mois de mai et juin, après un mois d'avril dans le rouge. Paradoxalement, cet asséchement des flux de capitaux est en réalité une excellente nouvelle pour l'avenir, car cela signifie qu'il n'y a presque plus de vendeurs. Les cours du premier marché émergent au monde devraient donc se stabiliser, ouvrant la voie à un rebond vigoureux à la moindre bonne nouvelle.
Sur le marché des devises, l'écart de rendements entre la Chine et les États-Unis pèse sur le Yuan. Depuis le 13 janvier, le billet vert est resté globalement stable face à ses principales contreparties comme l'euro, le franc suisse ou la livre britannique. Sur la même période, la monnaie chinoise est passée de 6.7 à 7.2 pour 1 dollar, une dépréciation de -6.8% qui a ramené le taux de change à son niveau de l'automne 2022. Toutefois, la Fed étant amenée à stopper ses hausses de taux, la pression baissière sur le yuan se fera de moins en moins sentir. Mieux encore, si le dollar s'oriente à nouveau à la baisse, alors le marché chinois en tirera mécaniquement profit (cf. Fig. 12).
En termes de valorisation, les actions chinoises se traitent à 10.8x les bénéfices, c'est-à-dire à un multiple très abordable. Une grande partie des risques sont intégrés dans les cours. À titre de comparaison, le S&P 500 américain s'échange actuellement à 22.5x les bénéfices (cf. Fig. 13).
Enfin, les gestionnaires de portefeuilles noteront que la corrélation des actions chinoises avec les indices des pays développés est très faible (cf. Graphique de la semaine), permettant d'améliorer le ratio rendement/risque du portefeuille global.
Pour accroître leur exposition aux actions chinoises, les investisseurs auront besoin de preuves concrètes, confirmant que les fondamentaux économiques s'améliorent et que les risques immobiliers, diplomatiques et réglementaires se dissipent progressivement. A ce moment-là, et probablement lorsque le dollar se dépréciera, les flux de capitaux se dirigeront naturellement vers les indices boursiers chinois car ils sont très bon marché et apportent de la décorrélation.