LA CONTRE-OFFENSIVE OBLIGATAIRE A DÉBUTÉ

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Depuis octobre 2022, les obligations sont très lucratives et le meilleur reste à venir
Après avoir acheté de la duration en allongeant les échéances de leurs bons du Trésor,
… les investisseurs profiteront de la pentification de la courbe des rendements
Compte tenu des défauts à venir, le risque de crédit n'est pas suffisamment rémunéré

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "La courbe des rendements a atteint un record d'inversion"

ANALYSE DES MARCHÉS OBLIGATAIRES

Après une année 2022 qualifiée d'annus horribilis par les investisseurs obligataires, nos analyses concluaient que 2023 était susceptible de représenter l'opportunité du siècle pour les détenteurs d'actifs à revenu fixe (cf. WIF du 24 octobre 2022). D'une part les rendements escomptés étaient très élevés, et d'autre part, en fonction des scénarii retenus, l'asymétrie entre les pertes et les gains avait rarement été aussi avantageuse. Huit mois plus tard, il est temps de faire le point.

Entre octobre 2022 et juin 2023, les banques centrales ont continué à resserrer leurs politiques monétaires. Les taux directeurs de la Réserve fédérale américaine (Fed) sont passés de 3.25% à 5.25% (+200 pdb), tandis que ceux de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de la Banque Nationale Suisse (BNS) ont respectivement progressé de 1.25% à 4.00% (+275 pdb) et de 0.50% à 1.50% (+100 pdb). De manière très instructive, au cours de cette période, les rendements des obligations inférieures à 2 ans ont légèrement progressé et leurs homologues à 10 ans ont reculé (cf. Fig. 2 & 3). Aux États-Unis comme en Europe, la courbe des rendements s'est inversée. Le phénomène est désormais tellement prononcé qu'il côtoie ses records de 1980-81 (cf. Graphique de la semaine).

Au cours des prochains trimestres, une accentuation de cette inversion ne peut pas être écartée, notamment si les banques centrales vont trop loin dans le durcissement de leur politique monétaire. Un tel scénario favoriserait la hausse de la partie courte de la courbe des taux. A contrario, il pénaliserait la croissance et l'inflation, faisant baisser davantage la partie longue. Toutefois, l'hypothèse la plus probable reste que la courbe des taux se repentifie, la Fed mettant fin à sa séquence de hausses de taux le 26 juillet malgré une inflation au-dessus de 2%. De leur côté, les banques centrales européennes ont encore quelques tours de vis à effectuer mais elles cesseront également de resserrer leur politique monétaire cette année.

Que le scénario extrême se concrétise ou que l'hypothèse centrale l'emporte, la courbe des rendements sera amenée à se repentifier, comme après chaque inversion historique : rapidement et amplement (cf. Graphique de la semaine). Elle retrouvera une physionomie "normale", de manière à satisfaire la "préférence pour le présent" des investisseurs. Les stratégies de type Target Accrual Redemption Note ou Steepener devraient logiquement gagner en popularité auprès des investisseurs expérimentés.

  • Si la pentification se fait par la partie longue (bear steepening), c’est-à-dire que les taux longs progressent, alors les investisseurs obligataires souffriront.
  • Si la pentification se fait par la partie courte (bull steepening), c’est-à-dire que les taux courts baissent, alors les investisseurs obligataires en tireront d'importants bénéfices.

Nos analyses conduisent nettement vers la deuxième option. En effet, tant que la récession ne sera pas conjurée et que l'inflation reculera, il est peu probable que les taux longs s'accroissent. Par ailleurs, les banquiers centraux pourraient assouplir leur discours et engendrer une chute des taux courts.

Les dix précédentes phases de repentification corroborent cette conclusion (cf. Graphique de la semaine). La moitié d'entre elles ont pris place durant les décennies de hausse structurelle des rendements, avant 1980, et l'autre moitié après. Dans la plupart des cas la Réserve fédérale a été amenée à assouplir sa politique monétaire, parfois même en effectuant un "pivot" par rapport à son action des mois précédents. Dans toutes les situations, la détention d'obligations a été rémunératrice (cf. Fig. 4).

Sur la période allant d'octobre 2022 à juin 2023, les investisseurs obligataires ont eu intérêt à allonger la duration de leurs investissements. Les performances parlent d'elles-mêmes. Les bons du Trésor américain émis pour une période de 7 à 10 ans ont vu leurs prix s'apprécier de 6.7%, contre 1.7% pour ceux comportant des maturités allant de 1 à 3 ans (cf. Fig. 5). La probabilité d'une hausse des rendements étant très faible, la duration devrait continuer de porter ses fruits d'ici la fin de l'année (cf. Fig. 6).

Si le contexte d'investissement semble favorable aux obligations, en particulier par rapport aux actions (cf. Fig. 7), le parcours risque toutefois d'être sinueux. Le régime de volatilité des obligations a profondément changé au cours des deux dernières années (cf. Fig. 8). Habituellement, plus on avance dans le resserrement des taux directeurs, plus l'incertitude sur son amplitude tend à diminuer. Cette fois-ci est exceptionnelle dans la mesure où l'inflation croît à un rythme inédit et que les banques centrales donnent le sentiment d'être en retard dans leurs efforts pour l'endiguer. La volatilité, mesurée par l'indice MOVE, s'est déjà réduite depuis la crise des banques régionales américaines en mars et elle devrait continuer de reculer, mais elle restera structurellement plus élevée que lors de la dernière décennie.

Sur le marché des obligations d'entreprises, les risques seront probablement plus importants. Au cours des dernières années, de nombreuses entreprises mal notées ont émis des prêts à effet de levier avec des intérêts flottants. Lorsque les taux courts avoisinaient 0%, tout allait pour le mieux. Mais après 500 points de base de hausse en 15 mois, les paiements d'intérêts pour ces prêts ont grimpé en flèche. Des fissures commencent à apparaître. La progression du nombre de faillites (cf. Fig. 9) entraînera l'écartement des spreads entre les rendements demandés pour ce type de prêts et les obligations souveraines, considérées comme un actif sans risque. Au vu de la volatilité actuelle, ces spreads pourraient doubler (cf. Fig. 10). Les investisseurs préféreront donc les obligations Treasuries aux obligations Corporates.

Conclusion

Cela fait déjà huit mois que les obligations délivrent de très belles performances. Au vu des perspectives économiques et monétaires qui se dessinent, les investissements à revenu fixe constituent toujours "l'opportunité du siècle". Dans la phase actuelle, les investisseurs privilégient les obligations souveraines aux obligations d'entreprises et cherchent à allonger la duration. La courbe des rendements étant fortement inversée, les stratégies de pentification seront très prochainement plébiscitées.

RENDEMENT DES ACTIFS FINANCIERS