LA PIERRE EST-ELLE ENCORE UNE VALEUR SÛRE ?

STRATEGIE ET THEMATIQUES
La hausse des taux pèse sur le secteur immobilier
Le résidentiel allemand est trop endetté mais il surfe sur des méga tendances
Aux États-Unis, la surchauffe du marché immobilier a entraîné des déséquilibres majeurs
Malgré des fondamentaux solides, le risque de crise immobilière est bien présent

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "L’immobilier résidentiel revient au point mort"

ANALYSE DU MARCHÉ IMMOBILER

Le secteur immobilier vacille des deux côtés de l’Atlantique. En 2022 le prix des sociétés immobilières cotées (REITS) a reculé de 28% aux Etats Unis et de 40% en Europe. L’immobilier résidentiel était parmi les sous-secteurs immobiliers affichant les plus mauvaises performances, alors que le taux de chômage demeure près des plus bas historiques et que la consommation des ménages se maintient. Depuis le début de l’année, l’immobilier résidentiel est en hausse, stimulé par les attentes des investisseurs d’un potentiel pivot des banques centrales vers des politiques monétaires plus accommodantes.

La hausse des taux pèse sur le secteur immobilier

Le resserrement monétaire affecte toute l’économie, mais en premier lieu les secteurs nécessitant le recourt à l’emprunt. Le secteur immobilier est très endetté en raison de sa forte intensité capitalistique. La hausse des taux, destinée à combattre l’inflation post-covid, alourdit le service de sa dette en même temps qu’elle réduit la valeur des actifs.

De plus, ce ne sont pas uniquement les coûts de financement qui pèsent sur le secteur mais aussi l’augmentation des coûts de construction et d’entretien, des frais de chauffage et d’électricité, les taxes, etc.

Tout le secteur marque un temps d’arrêt et la valeur des biens a déjà commencé à décliner (cf. Fig. 2).

Si le prix des apparte-ments aux Etats-Unis a corrigé de 13.1% entre le pic du marché et décembre 2022, les REITS ont corrigé de plus de 30% aux Etats-Unis et plus de 50% en Europe sur l’année 2022 : AvalonBay (-37%) ; Equity Residential (-35%) ; Vonovia (-55%); Leg Immo (-50%) …

Le résidentiel allemand est trop endetté mais surfe sur des méga tendances

Les fondamentaux de l’immobilier résidentiel allemand sont solides, soutenus par un manque criant d’offre de logements en zones urbaines. Le vieillissement de la population et l'immigration, notamment d’Ukraine, ont encore augmenté la demande de logements dans les villes (cf.Fig.3). Cependant, la législation mise en place pour lutter contre les hausses excessives des loyers et la spéculation immobilière pèse aujourd’hui sur les investissements et les mises en chantier.

Les sociétés immobilières cotées comme Vonovia, LEG immo ou TAG se concentrent sur des marchés à forte croissance. Malgré une accélération des augmentations de loyer, des taux d’occupation au plus haut, des taux de recouvrement record et donc une bonne visibilité sur leurs revenus, le cours des titres s’est effondré en bourse depuis août 2021 (cf. Graphique de la semaine). Les causes sont multiples et concernent tous les acteurs. Au cours des dix dernières années, ces sociétés se sont largement endettées, profitant des taux bas pour prospérer. Avec le resserrement de la politique monétaire de la BCE, les sociétés immobilières doivent désormais faire le choix entre rétribuer leurs actionnaires ou renforcer leurs bilans. La plupart ont tout simplement annulé le versement de dividendes ou les ont réduits de moitié comme Vonovia afin de faire face à l’augmentation des charges d’intérêt.

Les sociétés immobilières allemandes vont devoir gérer au plus près leurs finances pour s’assurer que le service de la dette ne mette pas en péril leurs activités opérationnelles. Elles vont probablement devoir procéder à la vente de certains actifs pour réduire leur dette et augmenter leur part de liquidités. Ces opérations pourraient se faire à des prix inférieurs à la valeur nette d’inventaire. Cependant, pour Vonovia, le cours du titre affiche déjà une décote de près de 40% par rapport à la valeur de ses actifs. Il est peu probable dans un marché ou la demande excède l’offre que des transactions immobilières s’effectuent avec une telle décote.

La surchauffe du marché immobilier américain a entraîné des déséquilibres majeurs

En 2020 et 2021, sous l'influence de la pandémie de Covid-19, la demande de maisons a été forte et l'offre limitée. Dans ce contexte, les prix de l'immobilier se sont envolés pour atteindre de nouveaux sommets.

Or, des signes de surchauffe apparaissent :

  • Les ménages achètent des biens immobiliers principalement parce qu'ils en ont les moyens. Le ratio entre les prix des logements et le revenu disponible est très efficace pour mesurer la surévaluation ou la sous-évaluation du marché du logement. Il a récemment atteint des niveaux record aux États-Unis (cf. Fig. 4).
  • L'indice d'accessibilité au logement est également couramment utilisé (cf. Fig. 5). Il permet de déterminer si le ménage américain moyen dispose d'un revenu suffisant pour bénéficier d'un prêt hypothécaire à l'achat d'un logement standard. Concrètement, un indice d'accessibilité au logement de 200 signifie que le revenu moyen des ménages est deux fois plus élevé que le revenu nécessaire pour obtenir un prêt hypothécaire. Aujourd'hui, à 105, il n'est supérieur que de 5%.

  • Le taux de capitalisation est l'une des mesures les plus efficaces pour évaluer la rentabilité et le rendement potentiel des investissements immobiliers. Il représente le rendement d'un bien immobilier sur un horizon d’un an, en supposant que le bien est acheté au comptant. Il fournit un aperçu rapide de la rentabilité locative et reflète l'arbitrage que font les ménages entre l'achat et la location de leur résidence. L'offre étant relativement inélastique, la demande s'affaiblira jusqu'à ce que les prix de l'immobilier s'ajustent à la baisse. Il est intéressant de noter qu'après 10 ans de baisse, le taux plafond augmente rapidement en 2023, passant de moins de 4,5% à plus de 5,5% dans certaines transactions récentes (cf. Fig. 6).

Malgré des fondamentaux solides, le risque de crise immobilière est bien présent

L’urbanisation des villes ne cesse de croitre et l’offre d’appartements demeure bien en deçà de la demande qui s’accroit rapidement, avec notamment le vieillissement de la population. Les personnes âgées préfèrent souvent vivre dans des zones urbaines plus accessibles à pied et plus proches des commodités telles que les magasins, les restaurants et les établissements médicaux.

Les loyers augmentent avec l’inflation et les taux d’occupation se maintiennent, pour l’instant, à des niveaux élevés. Cependant, dépendamment des régions et de la législation en place, l’écart entre les rendements et le coût du capital diminue.

Enfin, le changement climatique induit un coût de rénovation plus conséquent. Une étude récente tend à prouver qu'une prime est apparue pour les bâtiments qui ont obtenu des notes de durabilité de la part d'organisations telle que le World Green Building Council, par rapport à ceux qui n'ont pas encore atteint ces normes. Le prix des actifs reflètera de plus en plus le niveau des dépenses d'investissement nécessaires pour être aux normes, que ces améliorations liées au climat soient imposées par les législateurs ou qu'elles résultent de l'évolution des préférences du marché.

Les sociétés immobilières, les fonds immobiliers (OPCVM) et les ménages ont bénéficié de taux d’emprunts extrêmement faibles ces quinze dernières années. L’augmentation du service de la dette se répercute donc naturellement sur la valeur des biens.

Les sociétés immobilières cotées devront vendre des actifs pour réduire leur niveau d’endettement, le mieux étant d’éviter de vendre sous la contrainte. Les maturités étant échelonnées dans le temps, les différents acteurs disposent d'une maigre marge de manoeuvre pour alléger leur dette. L’immobilier est un actif peu liquide et les sociétés immobilières ne sont pas les seules à devoir potentiellement vendre des actifs. Les compagnies d’assurances et les OPCVM pourraient également devoir augmenter leurs niveaux de liquidités et se séparer rapidement d’objets, au risque d'accepter une décote s'il y a urgence.

Conclusion

Quand le secteur immobilier est en difficulté, il tend à approfondir les crises financières par son lien étroit avec les banques et ses besoins importants de financement. Le secteur est donc à surveiller de près. La hausse des taux, le manque de main d’oeuvre, l’inflation, la réglementation plus stricte sur les normes environnementales et climatiques, sont autant d’éléments qui risquent de peser sur le prix des biens. Sur le long-terme le secteur tend quand même à s’apprécier avec l’inflation, d’autant plus que la demande continue d’excéder l’offre.

RENDEMENT DES ACTIFS FINANCIERS