Les banques américaines (-21.6%) ont sous-performé le S&P 500 (-19.4%) en 2022, reflétant la crainte d’une récession imminente. Les banques européennes (-3.2%), au contraire, ont largement surperformé l’Euro Stoxx 600 (-12.9%) alors que la guerre en Ukraine faisait rage et que la crise énergétique menaçait la croissance européenne. Comment expliquer une telle divergence ?
Les revenus des banques proviennent essentiellement de deux sources : d’une part des revenus nets d’intérêt prélevés sur les prêts et d’autre part des commissions nettes des frais fixes ponctionnés pour les services financiers.
La hausse des taux directeurs, déterminée par les banques centrales, permet aux banques d’améliorer leurs revenus mais s’accompagne souvent d’une pression sur les marges engendrée par la rotation plus forte des dépôts bancaires, lorsque les clients choisissent de transférer leurs comptes vers les banques qui offrent de meilleures rémunérations. Les marges pourraient également souffrir d’une baisse des volumes de prêts causée par le ralentissement de l’activité économique.
Depuis la pandémie de Covid-19, la croissance massive des dépôts a inondé les banques de liquidités excédentaires. Une partie importante de ces fonds a été placée sur des comptes non rémunérés. Ces dépôts à faible rémunération ou "gratuits" ont permis aux banques de se financer à des niveaux historiquement bas. Le pourcentage de dépôts non rémunérés commence à s’infléchir (cf. Fig. 2) mais il demeure au-dessus de la moyenne de ces 12 dernières années et 500 bps au-dessus du plus bas niveau de 2020.
Avec le resserrement de la politique monétaire de la Fed depuis mars 2022, la gestion de la partie actif/passif du bilan revient au centre des préoccupations. (Les variations de taux modifient les flux de trésorerie, introduisant un risque pour les bénéfices projetés. En outre, ces variations de taux affectent la valeur économique des capitaux propres d'une institution financière. D’où l’importance accrue d’équilibrer l’actif et le passif). Le ratio entre les prêts et les dépôts étant à son plus bas niveau depuis plusieurs décennies, le niveau des liquidités au bilan est élevé. Le besoin de financement est beaucoup plus faible aujourd'hui que lors des cycles passés. L'excédent de liquidités devrait donc fournir aux banques plus de souplesse pour décider si elles doivent augmenter le béta des dépôts (augmentation du rendement des dépôts par rapport à la hausse des taux directeurs) ou laisser partir les dépôts à la concurrence. La concurrence pour les dépôts est nettement plus forte pour les banques en ligne que pour les grandes banques (cf. Fig. 3). Les banques digitales, comme Ally Financial, sont les plus exposées au risque de variation du béta des dépôts et pourraient subir plus fortement la concurrence et la pression sur leurs marges.
La hausse des taux s’accompagne souvent d’une détérioration des crédits à la consommation et d’un rebond des créances douteuses (cf. Fig. 4). Les banques doivent alors augmenter leurs réserves, ce qui pèse sur leur résultat net. La probabilité de devoir renforcer leur bilan par une augmentation de capital augmente et leur rentabilité diminue.
En 2022, les banques d’investissement ont souffert de la baisse des marchés boursiers et obligataires, alors même que les opérations de fusions & acquisitions ralentissaient fortement. Certaines banques, dont Goldman Sachs, annoncent déjà des réductions d’effectifs ou de bonus. Les analystes, dans leurs scénarios les plus sombres, s’attendent à des contractions de résultats nets de l’ordre de -53% (cf. Fig. 5).
Notre scénario envisage un début d’année difficile. La récession qui se concrétise devrait peser sur les revenus des ménages et des entreprises. Il est donc très probable que les défauts de paiement sur cartes de crédit ou que le taux des prêts non performants s’accroissent (cf. Fig. 6).
Les banques ont commencé à rapporter leurs résultats pour le quatrième trimestre 2022 et affichent toutes une grande prudence pour 2023, en augmentant leur niveau de réserves. Cependant cette augmentation est liée en partie à un changement dans la manière de comptabiliser le risque crédit. L'autorité de régulation leur impose désormais de comptabiliser les pertes dès le départ, lors de la souscription des nouveaux prêts. Or les ménages les plus pauvres ont déjà épuisé leur épargne « covid » et les demandes de prêts se sont accélérées. Reste à déterminer si cette normalisation du crédit indique un regain de confiance des consommateurs ou des difficultés à joindre les deux bouts... Il va donc falloir surveiller toute augmentation des défauts de paiement sur les prêts hypothécaires, les prêts automobiles et les cartes de crédit, ainsi que le montant que les banques doivent mettre de côté pour couvrir ces pertes à l’échéance des prêts. Le changement comptable imposé cette année aux banques américaines ajoute de la confusion pour les investisseurs. Enfin, étonnamment, et malgré des propos prudents, JP Morgan s’apprête à augmenter le rendement des actionnaires par des rachats d’actions. Une annonce surprenante si l’économie entre effectivement en récession et si la santé financière des ménages américains faiblit.
L'activité de banque d'investissement reste difficile, car le montant des honoraires tirés des conseils sur les transactions et les cotations continue de souffrir de conditions de marché difficiles, qui réduisent également la demande de souscription de nouvelles dettes et d'actions. Le trading obligataire et de change a boosté les résultats, mais le trading d'actions est encore faible. La gestion de patrimoine et d'investissement contribuera à la croissance, mais nombreux sont ceux qui constatent un ralentissement.
Depuis l’an dernier les banques européennes surperforment les banques américaines (cf. Graphique de la semaine). Est-ce la fin d’une décennie de déceptions et de questionnements sur un secteur où les institutionnels semblaient avoir jeté l’éponge ?
Les banques américaines ont été plus rapides à renforcer leur capital après la grande crise financière. De plus, les risques hypothécaires n’étaient pas supportés par les banques mais par des entreprises sponsorisées par l’Etat (Fannie Mae et Freddie Mac). Elles ont aussi bénéficié d’un cadre réglementaire plus laxiste sous le mandat de Donald Trump (ex :Economic Growth, Regulatory Relief and Consumer Protection Act / Mai 2018) ainsi que d’une réduction massive du taux d’imposition. Or tous ces catalyseurs sont en train de disparaître sous la présidence de Joe Biden.
De leur côté, les banques européennes ont mis plus de temps que les banques américaines à se redresser après la crise financières, freinées par le poids de leurs prêts non performants et l’adoption du cadre réglementaire Bale III, imposé par les autorités de régulation européennes. Les banques ont renforcé leur bilan et les actifs risqués ne pèsent plus sur le capital (cf. Fig. 7).
Malgré les craintes d’une récession plus forte en Europe, la qualité des crédits bancaires ne montre pas encore de signe de détérioration. Les effets de la crise énergétique et la correction des marchés à la suite de l’invasion de l’Ukraine ne sont pas encore visibles sur les états financiers des banques européennes. Elles compensent le ralentissement économique par de meilleurs revenus sur les prêts. Elles annonceront leurs résultats annuels et du 4e trimestre 2022 début février. Comme les banques américaines, elles dévoileront très probablement qu’elles ont augmenté leurs réserves mais que leurs bilans restent stables et solides.
Les banques sont les premières à subir les faiblesses de l’économie et à pouvoir prendre des mesures pour réduire l’impact sur leurs résultats. Les ratios de valorisation des banques européennes indiquent encore une dose de scepticisme de la part des investisseurs alors que leurs ratios de capitalisation et de liquidité ont été renforcés et les protègent en cas de scénario catastrophe. Dans cette optique, elles pourraient continuer de surperformer les banques américaines.