Depuis 2007 et de manière assez linéaire, le franc suisse s'est apprécié de +3.6% par an contre ses principales contreparties. En 2023, il a fait un gain supplémentaire de +1.8%, progressant notamment de +3.5% face au dollar américain et de +0.9% vis-à-vis de l'euro. Parmi les 17 principales devises échangées sur la planète, seuls le peso mexicain et le réal brésilien sont parvenus à afficher de meilleures performances (cf. Fig. 2). Comment une telle prouesse a-t-elle été possible cette année, dans un environnement où la Banque Nationale Suisse (BNS) n'a que très peu remonté ses taux d'intérêt, rendant la détention de francs comparativement peu rémunératrice (cf. Fig. 3), et où la deuxième banque du pays (Crédit Suisse) a dû être rachetée par la première (UBS) au mois de mars pour éviter une crise du système financier ?
Au soir du dimanche 19 mars, pour mettre fin aux craintes des investisseurs et des épargnants, la Banque Nationale Suisse (BNS) a soutenu la reprise du Crédit Suisse par sa grande rivale UBS, en allouant des aides sous forme de liquidités. Malgré ces importantes lignes de crédits, pouvant atteindre 200 milliards de francs si nécessaire, le bilan de la banque centrale est parvenu à rester relativement stable en mars. Au sein de ce bilan et en ajustant des effets de change et de valorisation des actifs, les réserves en devises étrangères ont été réduites de -31 milliards. Ce montant conséquent vient s'ajouter aux -100 milliards des 9 mois précédents (cf. Fig. 4).
En achetant des francs suisses (et donc en vendant des dollars et des euros), la BNS réussit l'exploit de faire d'une pierre deux coups :
Selon l'approche dite de la Parité de Pouvoir d'Achat (PPA), le franc est actuellement sous-évalué de -9% par rapport au dollar. Pour être à son "juste prix", le billet vert ne devrait pas s'échanger contre 0.90 franc mais contre 0.82 franc seulement (cf. Fig. 5). Ce type d'anomalie n'est pas rare mais elle finit toujours par se résorber. Dernièrement, elle était justifiée par le différentiel de rendements entre les obligations à deux ans (cf. Fig. 6). En prenant ce seul paramètre en compte, il était possible de justifier un dollar à la parité contre le franc. L'écart de rendements étant amené à se réduire, à mesure que la politique monétaire de la BNS se durcira pour se rapprocher de celle de la Fed ou lorsque la Fed "pivotera", le franc devrait poursuivre son appréciation.
La situation du franc peut sembler différente face à l'euro. Toujours selon la PPA, la monnaie unique pourrait s'échanger contre 1.05 franc, soit +7% au-dessus des 0.98 actuels (cf. Fig. 7). Le franc est donc surévalué. En réalité, au vu du différentiel d'inflation entre les deux zones (cf. Fig. 8), les investisseurs anticipent simplement de 18 à 24 mois une inflation durablement plus faible en Suisse. D'ici-là, le taux de change d'équilibre sera, lui aussi, passé sous la parité.
Nos modélisations économétriques se basent, entre autres, sur ces facteurs explicatifs. Elles sont imparfaites dans la mesure où elles ne reflètent ni les variations liées à des paramètres de court terme, ni les réactions émotionnelles des investisseurs. En revanche, en tendance, les prévisions qu'elles génèrent sont suffisamment fiables (cf. Graphique de la semaine) et le message est clair : le franc sera de plus en plus fort.
Les fondamentaux du franc suisse sont excellents. La monnaie helvétique s'apprécie en période de croissance de l'activité mais plus encore lorsque les risques économiques et financiers grandissent. La faiblesse des rendements obligataires ne parvient pas à dissuader les investisseurs. Désormais, ces derniers sauront que le taux de change du franc parvient également à s'améliorer lorsque le système financier helvétique est soumis à un sauvetage en urgence. Les modèles économétriques escomptent un renforcement de la tendance. Au cours des 20 prochains mois, le franc suisse s'appréciera contre l'euro et, plus encore, contre le dollar.