LE MARCHÉ DE LA PIERRE S'EFFRITE

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Lundi 11 Décembre 2023
Les Américains commencent seulement à être impactés par le niveau élevé des taux
En 2024, les prix de l'immobilier résidentiel pourraient chuter de 15% additionnels
Le secteur de la construction en souffrira, comme à chaque crise
L'investissement locatif et les sociétés immobilières cotées (REITS) demeurent peu attractifs

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "Il est devenu préférable de louer plutôt que d'acheter"

Source : The Economist, Atlantic Derivatives

ANALYSE DU MARCHÉ IMMOBILIER

La hausse des taux est terminée. Le président de la Réserve fédérale aura beau chercher à convaincre les investisseurs du contraire, déclarant qu'il est prêt à resserrer davantage sa politique monétaire si cela s'avère approprié, le consensus est désormais solidement ancré à Wall Street. La stagnation de l'économie américaine, l'envolée du taux de chômage et la baisse du taux d'inflation au voisinage de 2% contraindront Jérôme Powell à modifier radicalement son discours. Non seulement la hausse des taux a pris fin le 26 juillet 2023, mais la première coupe pourrait être opérée dès le mois de mars 2024. En anticipation de ce mouvement sur les taux directeurs, les taux longs ont nettement chuté depuis le 1er novembre. Les obligations du Trésor à 10 ans ont vu leur rendement passer de 4.93% à 4.13%. Les taux hypothécaires ont également marqué le pas, évoluant de 8.06% à 7.43% sur la même période. Cette tendance devrait se poursuivre en début d'année.

Malgré cette excellente nouvelle, le comportement des Américains vis-à-vis du marché immobilier résidentiel restera très frileux en 2024. Premièrement, l'indice d'accessibilité au marché immobilier (affordability) demeure sous le seuil fatidique des 100 points (cf. Fig. 2). Concrètement, à 93 points, cela signifie que les ménages disposent, en moyenne, d'un revenu 7% au-dessous du niveau minimum nécessaire pour bénéficier d'un prêt hypothécaire à l'achat d'un logement standard. Cette situation est inédite depuis la création de la statistique il y a 40 ans.

Deuxièmement, il est actuellement plus avantageux de louer que d'acheter. Entre 2011 et 2020, les mensualités des locataires étaient supérieures de 14% à celles des propriétaires soumis à un prêt hypothécaire. Ce n'est plus le cas. Depuis deux ans, la flambée des prix des logements (+40%) et l'envolée des coûts hypothécaires (+50%) ont complètement inversé le rapport de force. Tandis que les paiements hypothécaires nominaux ont plus que doublé, les loyers ont augmenté de 20%. Aujourd'hui, les Américains doivent dépenser 850 dollars de plus par mois pour être propriétaires que pour être locataires (cf. Fig. 3). D'après The Economist, pour 89% des Américains, la location est désormais moins chère que l'achat (cf. Graphique de la semaine). Il y a trois ans, ce chiffre n'était que de 16%. Pour rééquilibrer la situation, il faudrait que les prix immobiliers chutent de 30%, que les taux hypothécaires moyens tombent à 3% ou que les coûts de location augmentent de 50%. Cela prendra du temps.

Troisièmement, la hausse des taux hypothécaires ne s'est pas encore complètement diffusée dans le marché. Pour comprendre ce phénomène sous-estimé par les analystes, il est crucial de se souvenir que la quasi-totalité des Américains (90%) sont endettés à taux fixe, souvent sur 30 ans. C'est nettement plus qu'au début du siècle lorsqu'ils n'étaient que 74% à opter pour la prévisibilité de leurs échéances. Ainsi, tant qu'ils ne seront pas contraints de souscrire à un nouvel emprunt, les ménages ne seront pas impactés par la hausse des taux. Malgré des taux d'intérêt à 8%, plus de quatre détenteurs d'hypothèques sur cinq sont soumis à un taux inférieur à 5%.

Le taux hypothécaire effectif est de 4% seulement (cf. Fig. 4). Son rythme de progression est relativement contenu car une partie des ménages renoncent à déménager, de manière à conserver leurs prêts à taux avantageux. Ce n'est qu'une fois qu'ils sont contraints par une naissance, un décès, un divorce, un licenciement, une mobilité forcée, ou tout autre événement de vie les forçant à acheter un nouveau logement qu'ils se voient appliquer le nouveau taux hypothécaire. La marge de progression du taux effectif en 2024 est forte. Le plus difficile est donc encore à venir.

La divergence entre la croissance des ventes de maisons neuves et le recul des ventes de logements existants est symptomatique (cf. Fig. 5). Des millions de propriétaires américains, cherchant à préserver leur solvabilité, ont renoncé à vendre leur bien immobilier. Ils ne peuvent pas se permettre de renoncer aux faibles taux hypothécaires dont ils bénéficient. Sous cet effet, l'offre de maisons existantes à vendre a littéralement chuté et la construction de maisons neuves est devenue l'option la plus facile pour les acheteurs solvables.

Cette dichotomie d'évolution des ventes entre le neuf et l'ancien ne doit pas masquer la tendance globale. Le marché immobilier résidentiel étant composé à 85% de maisons existantes, c'est lui qui influence véritablement le prix des maisons (cf. Fig. 6). Ainsi, en 2024, annus horribilis, les prix pourraient chuter de 15% additionnels (cf. Fig. 7).

Dans ce contexte défavorable, le secteur de la construction sera soumis à une forte diminution de ses carnets de commandes. Les entreprises seront contraintes de freiner leurs dépenses d'investissement et de congédier une partie de leur personnel. Habituellement, il existe un décalage de deux ans entre la méfiance des professionnels du secteur et la vague de licenciements (cf. Fig. 8).

Tant que le taux de rentabilité escompté (cap rate) sera aussi faible vis-à-vis des rendements obligataires (cf. Fig. 9), l'engouement des investisseurs pour acheter de nouveaux logements locatifs sera faible. De la même manière, les sociétés d'investissement immobilier cotées (REIT) continueront de sous-performer (cf. Fig. 10). Habituellement, il faut attendre que le cycle économique touche le fond et se prépare à une nouvelle phase d'expansion pour que le secteur performe mieux que son indice de référence. Les biens immobiliers en difficulté deviennent disponibles à des prix plus bas, les marchés locatifs se stabilisent et les taux d'intérêt sont bas. Aujourd'hui, il est probablement encore trop tôt.

Conclusion :

Le durcissement de la politique monétaire est terminé, mais son impact ne l'est pas. Sur le marché immobilier résidentiel, les effets des hausses de taux passées se feront de plus en plus sentir en 2024. La demande de logements sera si faible que les prix chuteront d'environ 15%. Pour que la tendance s'inverse, il faudra que les taux d'intérêt baissent considérablement et durablement. D'une part, pour améliorer la capacité d'emprunt des ménages et, d'autre part, pour renforcer l'attractivité de l'immobilier locatif par rapport aux obligations. Les investisseurs doivent continuer à faire preuve de patience avant de se réintéresser à ce segment lucratif, que ce soit en direct ou via les marchés boursiers.

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