C'est désormais une lapalissade d'écrire que l'industrie des semi-conducteurs constitue la clef de voûte de l'innovation technologique mondiale. Les puces informatiques sont au coeur de presque tous les appareils électroniques modernes : des ordinateurs à l'intelligence artificielle, en passant par les smartphones, les voitures et l'internet des objets. Au cours des cinq dernières années, en poursuivant une tendance instaurée dès 2013, le secteur des semi-conducteurs a enregistré une performance boursière deux fois supérieure à celle des principaux indices (cf. Fig. 2).
À lui seul, le cours boursier de Nvidia a plus que triplé en 2023 (+238%) et il a déjà progressé de +46% supplémentaires en 2024 (cf. Fig. 3).
L'essor de l'intelligence artificielle est venu accentuer les besoins en calculs de haute performance et en efficacité énergétique. En outre, les récentes perturbations de la chaîne d'approvisionnement ont mis en évidence l'importance stratégique des semi-conducteurs, tant pour la croissance économique que pour la sécurité nationale. Face à la forte demande, à la complexité grandissante des technologies de fabrication et au besoin de sécurisation de la production, des achats et du transport, les principaux acteurs du marché sont en train de prendre un tournant décisif.
Les géants de l'industrie, principalement américains et taïwanais, tels que Nvidia (NVDA US), Broadcom (AVGO US), AMD (AMD US) ou TSMC (2330 TT), continuent de dominer le marché grâce à leur avance en matière de recherche et développement. Ces dépenses leur permettent de surmonter les barrières technologiques et d'atteindre des processus de fabrication toujours plus fins et plus qualitatifs. Pour ces leaders, les principaux risques seraient de ne pas tenir le rythme d'innovation nécessaire à la préservation de leurs parts de marché, ou de voir l'industrie se réorganiser différemment, notamment si certains acheteurs se mettaient à produire leurs propres puces.
La récente initiative d'OpenAI (société non cotée), concepteur de ChatGPT, d'investir massivement dans le secteur des semi-conducteurs, est un exemple révélateur. Les systèmes d'intelligence artificielle sur lesquels elle s'appuie, en particulier les réseaux de neurones, nécessitent une puissance de calcul gigantesque. Cela engendre une demande substantielle pour des puces spécialisées, comme les processeurs et accélérateurs de type GPU/TPU (Graphics/Tensor Processing Units). En faisant appel à des fonds moyen-orientaux, et en externalisant la construction et l’exploitation des futures usines américaines auprès de TSMC, la société de Sam Altman pourrait atteindre un double objectif : accélérer son déploiement tout en réduisant les risques opérationnels.
Le projet d’OpenAI n’est pas isolé dans le paysage mondial et plusieurs gouvernements ont déjà amorcé des démarches pour assurer leur accès aux puces électroniques. Américains et Européens cherchent à combler leur retard par rapport à l'Asie, qui produit actuellement 82% des semi-conducteurs mondiaux. Avec une part de marché de 22%, l'île de Taïwan est un acteur clé. Si elle semble au même niveau que la Corée du Sud et la Chine, elle est moins facilement remplaçable car elle produit 92% des puces de dernières générations (cf. Fig. 4). Pour revitaliser leur industrie de semi-conducteurs, les États-Unis ont initié des mesures législatives volontaristes dès 2022, avec le Chips Act. Ils pourraient renforcer ce type d'initiatives après la prochaine élection présidentielle de novembre 2024.
L'Union Européenne, avec son plan homonyme European Chips Act (ECA), adopté fin 2023, montre également sa volonté de développer ses propres capacités en produisant davantage de semi-conducteurs sur le Vieux Continent. L’Allemagne devrait être au coeur du dispositif puisqu'elle accueillera les plus grandes usines de processeurs. D’ici 2027, à Dresde, à l’est du pays, TSMC prévoit d'installer son premier site européen, en partenariat avec le Néerlandais NXP (NXPI US) et les Allemands Infineon (IFX GY) et Bosch (société non cotée). De son côté, la France verra s'implanter la nouvelle usine du fabricant franco-italien STMicroelectronics (STMPA FP) à Crolles, près de Grenoble. Pour l'instant, ces trois valeurs n'ont pas encore suscité l'enthousiasme des investisseurs (cf. Fig. 5).
Quelques semaines après l'élection présidentielle à Taïwan et la victoire de l'indépendantiste Lai Ching-Te, la Chine a réitéré qu'elle considère l’île comme une partie de son territoire et qu'elle n’a jamais renoncé à employer la force pour en reprendre le contrôle. L'armée chinoise communique régulièrement qu'elle "écrasera" toute velléité d'indépendance de Taïwan. Ces dernières années, elle a régulièrement déployé des ballons d'observation, des avions de combat et des navires de guerre autour de l’île.
Ces tensions géopolitiques à répétition posent un risque significatif pour l'industrie des semi-conducteurs. Au-delà du fait que 50% des conteneurs transportés dans le monde transitent par le détroit séparant Taïwan de la Chine, toute perturbation militaire dans cette région engendrerait des pénuries de semi-conducteurs et augmenterait leurs coûts de production. Cette perspective soulève à nouveau des questions sur la dépendance du marché mondial envers un petit nombre de fabricants et la nécessité de diversifier la production de semi-conducteurs pour assurer la continuité de l'approvisionnement. Même si les Etats-Unis et l'Europe s'activent pour produire davantage de puces sur leur territoire, ce rééquilibrage ne sera complètement effectif que dans plusieurs années. Or, les produits de dernière génération, les plus recherchés, continuent d'être essentiellement produits à Taïwan.
La perspective d'un conflit armé à Taïwan procure une "prime de paix" à certaines entreprises non-taïwanaises, en Amérique du Nord, mais également en Corée du Sud. Des entreprises comme Intel (INTC US), GlobalFoundries (GFS US) et Samsung Electronics (005930 KS) sont aujourd'hui perçues comme des alternatives plus sûres par les clients cherchant à diversifier leurs sources d'approvisionnement (cf. Fig. 6).
Derrière les fabricants de semi-conducteurs se trouvent les fournisseurs d'appareils spécialisés. Parmi les plus réputés se trouvent des entreprises comme ASML (ASML NA), Applied Materials (AMAT US), et Lam Research (LRCX US), qui fournissent les machines et les technologies nécessaires pour la production de semi-conducteurs, depuis la gravure des circuits, jusqu'au dépôt de divers matériaux sur les plaquettes de silicium. Leurs performances boursières sont étroitement corrélées (cf. Fig. 7).
Encore plus en arrière-plan, les sociétés qui fournissent les technologies du vide et du contrôle des fluides se font discrètes. Moins mentionnées par les analystes et donc moins suivies par les investisseurs, elles n'en sont pas moins importantes. Elles sont tout aussi essentielles pour répondre aux exigences de précision et de pureté de l'industrie des semi-conducteurs, notamment dans les salles blanches. Sans ces sociétés, il serait impossible d'assurer les conditions nécessaires à la production de puces électroniques de haute qualité. Mieux encore, la volonté de domicilier une partie de la production mondiale de semi-conducteurs en dehors de Taïwan est en train de créer une véritable success story pour ces sociétés. Pendant la ruée vers l'or, ce ne sont pas les chercheurs d'or qui ont fait fortune, mais les vendeurs de pelles et de pioches et, avant eux, les fournisseurs de manches.
Les pompes sont essentielles pour créer le vide nécessaire dans les chambres de dépôt et de gravure. En évitant la contamination et la réaction avec l'air atmosphérique, elles garantissent la qualité de la fabrication de semi-conducteurs à des échelles nanométriques. Quant aux vannes, elles régulent avec une extrême précision le flux de gaz et de liquides dans les équipements de production, assurant la répétabilité et la fiabilité des processus de fabrication. Les pompes et les vannes constituent l'une des plus grosses dépenses de la nomenclature des matériaux pour les équipementiers de semi-conducteurs. Les sociétés qui les fabriquent doivent continuellement répondre à une très forte demande. Leurs carnets de commandes sont pleins pour plusieurs années.
Plusieurs acteurs dominent le marché des pompes à vide pour semi-conducteurs (cf. Fig. 8), notamment le Suédois Atlas Copco (ATCOA SS), l'Allemand Pfeiffer (PFV GY), et les Japonais Ebara (6361 JP) et Ulvac (6728 JP) :
Dans ce contexte industriel de course à la qualité et à la performance, les entreprises spécialisées dans le contrôle des fluides sont devenues incontournables. Leur capacité à innover, en développant des vannes plus précises et des systèmes de contrôle plus fiables, permet aux fabricants de semi-conducteurs de produire davantage, de pousser les limites de la miniaturisation, tout en améliorant les standards de pureté. Non seulement ces fournisseurs augmentent la capacité de production de l'industrie, mais ils facilitent l'émergence des futures générations de semi-conducteurs.
Parmi les leaders mondiaux du contrôle des fluides, se trouvent le Japonais SMC Corporation (6273 JP) et les Suisses VAT Group (VACN SW) et Inficon (IFCN SW) (cf. Fig. 9) :
Les investisseurs ne peuvent pas ignorer le secteur des semi-conducteurs, mais ils pourraient finir par chercher des sociétés moins en vue et dont les cours boursiers ne se sont pas encore envolés (cf. Graphique de la semaine). Parmi les fournisseurs de matériaux et équipements, les fabricants de pompes à vide et de vannes semblent bien placés. Ils sont essentiels pour la fabrication de puces et leurs carnets de commandes sont remplis pour plusieurs années.