Le secteur automobile sous-performe massivement le marché depuis le début de l’année, en retrait de 28.6%. La plupart des constructeurs affichent même une correction de l’ordre de -30%, l’indice Stoxx Europe 600 Automobile étant compensé par la performance remarquable de Renault, soit +0%. Malgré les vents contraires qui soufflent sur le secteur, Volkswagen a levé des fonds via l’IPO de sa filiale Porsche.
Les changements de périmètre et le jeu des alliances peuvent-ils venir conforter une industrie dans la tourmente ?
Suite à l’IPO de Porsche, le secteur des automobiles de luxe compte désormais un acteur de plus coté en bourse. Quelles sont les chances de Porsche de venir rejoindre Ferrari en pole position ou de faire une quasi sortie de route comme Aston Martin? Ce secteur de niche affiche des divergences en termes de valorisation et de performance boursières (cf. Fig. 2). Ferrari est en baisse de 30% et Aston Martin de 82% depuis le début de l’année (-98% depuis son IPO en octobre 2018 !). Porsche s’échange à 15x les PE 2023 contre plus de 34x pour Ferrari. En termes d’EV/EBITDA, l’écart est encore plus marqué avec des multiples pour 2023 de 5.8x pour Aston Martin, 7.9x pour Porsche et 17.6x pour Ferrari.
Le secteur des automobiles de luxe, comme le reste du secteur, s’est engagé vers plus de durabilité et vers la production de véhicules électriques qui nécessite de lourds investissements. Porsche et Ferrari se sont engagés à investir dans des modèles électriques, tout en conservant aussi longtemps que possible leurs modèles à moteur à combustion tant appréciés. Une partie du cash généré par l’IPO de Porsche servira d’ailleurs à financer la transition de Volkswagen vers les véhicules électriques. Le reste sera retourné aux actionnaires sous forme de dividendes exceptionnels.
Ces transformations coûtent cher et c’est ce qui pèse actuellement sur le titre Aston Martin qui brûle du cash mois après mois. En plus de la transition vers l’électrique, les marques font face à un contexte exceptionnellement difficile cumulant pandémie de Covid-19, problèmes logistiques et pression sur les marges due à l’inflation des matières premières et des salaires.
Fig. 2 – Le parcours post-IPO peut diverger au sein d’un même secteur
Les marques ont des stratégies marketing très différentes. Ferrari se concentre exclusivement sur les voitures de sport dispendieuses, en augmentant les prix et en limitant l'offre, caractéristique du commerce de luxe. Porsche, en revanche, vise le marché haut de gamme, plus abordable et s'est lancé dans une expansion majeure vers les véhicules utilitaires de sport (SUV), propulsant les ventes au-dessus de 300 000 unités vendues par an, proche de Jaguar et Land Rover. Les ventes de sa voiture de sport électrique Taycan représentent à elles seules quatre fois les livraisons annuelles totales de Ferrari.
Ces différences ont des répercussions sur la profitabilité des entreprises. Porsche vise une marge bénéficiaire de 20% à long terme (16% en 2021), soit bien inférieure à celle de Ferrari qui était de 25% en 2021. Le constructeur italien prétend d’ailleurs l'augmenter encore d’ici 2030.
En termes de gouvernance, le groupe Porsche reste intimement lié à Volkswagen, partageant le même CEO et se reposant sur le groupe Volkswagen pour certains projets. Ainsi, Porsche a déjà dû repousser le lancement de la version électrique de son SUV Macan en raison de retards dans le développement des logiciels. Néanmoins se séparer de Volkswagen l'obligerait à payer une compensation et à repartir de zéro. Ferrari est totalement indépendant de Fiat et de la famille Agnelli et se développe un peu à la façon d’un Hermès de l’Automobile, justifiant ainsi des multiples de valorisation élevés.
Dans les années 80-90, l'industrie automobile est passée d'une multitude d'entreprises indépendantes à une poignée de consortiums mondiaux. L'intensification de la guerre des prix a amené les constructeurs à s’allier les uns aux autres pour avoir accès à la technologie, aux marchés globaux et pour réaliser des économies d'échelle. Dans ce contexte, les opérations de fusions-acquisitions à forte intensité en capital et risquées ont laissé place à des alliances stratégiques. Celles-ci se sont concentrées essentiellement autour de la construction de plateformes communes afin de réduire les coûts. En effet, parmi les éléments les plus onéreux à concevoir, la plateforme arrive certainement en tête. La plateforme, structure de base de la voiture, est composée d’un châssis (structure rigide à laquelle sont fixés tous les éléments constituant un véhicule) et de certaines pièces non visibles. Les plateformes varient selon le type d’énergie qui alimente la voiture (cf.Fig. 3).
Fig. 3 – Plateformes automobiles
Un modèle de voiture à moteur thermique, électrique ou hybride ne partage pas la même plateforme mais trois plateformes distinctes. Le coût est donc conséquent pour les constructeurs qui font le choix de la transition énergétique. On comprend alors pourquoi certains constructeurs comme Toyota se sont concentrés, peut-être à tort, sur les modèles hybrides en ignorant le tout électrique qui requiert une plateforme encore différente.
La compétition entre marques est intense tandis que la collaboration leur permet de se lancer dans des projets de plus grande envergure et d’en raccourcir les échéances. Le but est donc souvent de partager les coûts, d’innover et de renforcer les bilans des sociétés. Parmi les grandes alliances, on compte entre autres Renault/Nissan, Fiat/Chrysler, Hyundai/Kia et Toyota/Tesla. (cf.Fig. 4)
Fig. 4 – Une sélection d’alliances
Les entreprises s'efforcent de rester à la pointe des dernières tendances technologiques via un éventail d'écosystèmes, d'alliances et de collaborations. Ces nouvelles combinaisons impliquent souvent des acteurs extérieurs au monde de l'automobile, tels que des start-up de la Silicon Valley ou des entreprises de semi-conducteurs, qui apportent de nouvelles compétences. Elles permettent aux constructeurs automobiles d'accélérer le développement de la conduite autonome, l'électrification et la mobilité en tant que service – tout en partageant l'énorme charge financière que cela implique (cf. Fig. 5).
Fig. 5 – Top 10 des tendances et innovations en 2022
Des relations improbables se créent telles que BMW/ Spotify diffusant de la musique dans les véhicules, Jaguar/PayPal/Shell s'associant pour offrir la possibilité de payer le carburant depuis l'intérieur de la voiture, ou encore Audi China, via sa coentreprise FAW-Volkswagen, coopérant avec Alibaba, Baidu et Tencent dans l'analyse des données, des plateformes internet pour véhicules et du transport urbain intelligent.
La tendance du consommateur à considérer la mobilité de plus en plus comme un service complexifie encore la tâche pour les constructeurs de se différencier. Aujourd'hui, si posséder une voiture est encore un mode d’expression identitaire, demain le véhicule à la demande, en tant que service, deviendra davantage une commodité.
Enfin, l’engagement du secteur vers plus de durabilité implique l'ensemble de la chaîne de valeur : les constructeurs, les concessionnaires, les fournisseurs, les services et les détaillants du marché secondaire. C'est pourquoi des réseaux d'équipementiers automobiles et d'entreprises technologiques se réunissent pour relever les défis tels que les problèmes de chaîne d'approvisionnement, le transfert et la gestion sécurisée des données, l'électrification de l'industrie, y compris les véhicules et les stations de recharge, la gestion du cycle de vie des batteries et les pratiques commerciales durables qui permettent de réduire l'empreinte carbone. Les entreprises ne peuvent pas gérer seules l'ensemble du cycle ; elles ont besoin de la collaboration de l'industrie pour élaborer des solutions efficaces à long terme.
Face au risque de récession qui augmente, les investisseurs ont délaissé les secteurs cycliques comme les automobiles. Les titres s’échangent déjà à de forts discounts par rapport à leurs multiples de valorisation historiques (cf. Graphique de la semaine).
L’industrie est engagée dans une transition énergétique qui lui coûte cher, tout en maintenant un système de production obsolète de voitures à moteur à combustion interne. Etonnamment, cette transition et la pénurie de composants électroniques ont permis à de nombreuses marques de changer leur mix produits et de vendre davantage de voitures à plus haute valeur ajoutée / plus onéreuses, telles que les voitures électriques, les pick-up et SUV (cf. Fig. 6). Les volumes de ventes ont décliné mais les marges ont augmenté. Il est probable que le secteur continue de jouer sur ce tableau pour atténuer les effets de la crise. Le secteur reste quoi qu’il arrive sensible à la fois à la demande mais aussi à la pression des coûts, notamment des matières premières et de l’énergie.
Les consommateurs commencent à souffrir de l’inflation et de la hausse des taux. Si la pression inflationniste devient trop forte, les remboursements de prêts automobiles ou la souscription de nouveaux emprunts pourraient s’amenuiser, faisant pression sur les sociétés de financement liées aux constructeurs.
Fig. 6 – Répartition des ventes de véhicules aux États-Unis par gamme de prix
Le secteur reste sensible aux ralentissements économiques alors que la compétition en provenance de Chine s’intensifie. Les valorisations semblent déjà tenir compte des perspectives les plus alarmistes, affichant des multiples historiquement bas. S'adapter, investir dans l'avenir et unir ses forces, telle est la voie à privilégier pour tendre vers une industrie automobile viable - pour le climat, les travailleurs et les investisseurs aussi.