De mémoire d'investisseurs, les marchés obligataires n'avaient jamais enregistré une si mauvaise séquence et de surcroît si rapide. Tous les rendements obligataires ont pris l'ascenseur pour se positionner proches de leur maximum des dix dernières années (cf. Fig. 2). Les performances obligataires évoluant a contrario des taux, l'indice de référence de la dette mondiale compilé par Bloomberg s'est contracté de -21% en moins de 10 mois, actant un recul de -25% par rapport à son sommet de janvier 2021 (cf. Fig. 3). Pour les bons du Trésor américain, dont les bases de données sont plus longues, la performance négative cumulée de -18% est légèrement moins violente mais tout aussi impressionnante au vu de l'histoire (cf. Graphique de la semaine).
Habituellement, ce sont les actifs risqués et non pas ceux à revenus fixes qui délivrent ce type de chiffres rouges. Les raisons d'un tel déboire sont connues : accroissement de l'offre de dette, hausse des taux directeurs pour lutter contre l'inflation, fin programmée de l'achat d'obligations par les banques centrales, désintérêt des investisseurs pour cette classe d'actifs tant les rendements ont été faibles durant longtemps, hausse des primes de risque crédit, dégradation de la solvabilité des pays émergents avec l'appréciation du dollar, etc.
Parmi tous ces facteurs, la faiblesse initiale des rendements a été l'élément le plus dommageable : les coupons n'ont offert aucun soutien à la performance. Concrètement, lorsque les taux grimpent de 7% à 10% (+300 bp), la dépréciation du prix de l'obligation est partiellement compensée par le paiement du coupon. A contrario, lorsque les rendements passent de 1% à 4% (+300 bp également), l'effet amortisseur est minime. Une telle situation n'avait jamais été expérimentée depuis que les données obligataires sont recensées… c’est-à-dire depuis 1870 (cf. Fig. 4).
Au sein des différentes catégories d'obligations (cf. Fig. 5), celles émises par les Etats dont les banques centrales ont été les plus accommodantes s'en sortent mieux. C'est évidemment le cas du Japon dont les taux sont contrôlés artificiellement pour être maintenus proches de zéro (Yield Curve Control) et, dans une moindre mesure, de la Suisse. La devise helvétique s'appréciant, l'inflation et la dette demeurant faibles, la progression des rendements est restée modérée. À l'autre bout du spectre, les obligations émergentes ont souffert de l'appréciation du dollar puisqu'elle vient dégrader la solvabilité des Etats et des entreprises dont les revenus sont en monnaies locales. Quant aux obligations britanniques, elles ont été pénalisées par les conséquences durables du Brexit, les imbroglios politiques, la hausse des dépenses publiques et le durcissement de politique monétaire.
Les obligations à hauts rendements, et donc par définition les plus risquées, n'ont pas démérité : leurs performances n'ont pas été plus négatives que le reste du marché. C'est inhabituel. Preuve s'il en faut, les spreads sont anormalement en retard par rapport à la volatilité du marché (cf. Fig. 6). Leurs rendements attrayants ont alléché une partie des investisseurs. Il ne serait donc pas surprenant que les obligations High Yield souffrent davantage au cours des 12 prochains mois.
Le bear market obligataire a été si violent qu'il offre une opportunité séculaire. Mieux encore, l'asymétrie de la situation permet de s'y intéresser à moindre risque. Examinons les deux extrémités du champ des possibles :
En suivant le scénario le moins favorable d’une hausse des taux jusqu’à 5.3%, un investissement en bons du Trésor américains à 5 ans ne générerait pas de perte additionnelle d'ici fin 2023 : +0.2%. A contrario, dans le cas où les taux chuteraient à 1.9%, le rendement escompté serait de +12%. Entre ces deux extrêmes, se décline toute une palette de gains (cf. Fig. 9).
Le jeu en vaut la chandelle : l'asymétrie entre pertes et gains a rarement été aussi avantageuse. Les investisseurs qui avaient délaissés les obligations au profit des actions ou des stratégies dites "alternatives" ne manqueront pas de le constater. Les capitaux affluant à mesure qu'ils se repositionneront sur ce marché, le bull market obligataire pourrait même suivre une cadence assez rapide.
Les investisseurs hésitent encore à s'intéresser au marché obligataire mondial, sous prétexte qu'il est exposé à un risque de krach. Sans doute oublient-ils que ce krach a déjà eu lieu et qu'il a ouvert les voies à une opportunité séculaire. TINA (There Is No Alternative) s'en est allée, bienvenue TIFFANI (There Is a Fast and Furious Alternative Not Insane).