Le secteur des services de communication inclut depuis 2018 des mastodontes de la technologie tels qu’Alphabet, Meta ou Netflix. Ces sociétés à forte croissance, qui avaient boosté le secteur à la hausse, contribuent à sa très mauvaise performance (-34%) depuis le début de l’année. Les opérateurs de télécoms font office de dinosaures mais démontrent leurs qualités défensives. En effet, les revenus sont, en grande partie, récurrents et les free cash-flows générés permettent largement le paiement des dividendes. Les bilans ne sont cependant pas exempts de dettes alors que le secteur a dû faire face à des phases de fusion et acquisition coûteuses, à des investissements massifs pour moderniser et entretenir les réseaux, et que la compétition empêche d’augmenter le prix des services.
Le secteur souffre moins des cycles économiques que la plupart des secteurs du fait de son utilité dans la vie des entreprises et des ménages au quotidien. La digitalisation de l’économie promulguée par les méga-tech a contribué à alourdir l’utilisation des réseaux de télécommunication par l’augmentation exponentielle de données (cf. Fig. 2). En effet, le cloud, les vidéos en streaming, le gaming et maintenant le métavers ne font qu’augmenter la demande pour une infrastructure performante. Les méga-tech investissent dans les data centers mais la transmission de données d’un point A à un point B requiert une technologie toute autre et des équipements lourds. Les opérateurs télécoms ont d’ailleurs déjà fait appel aux régulateurs afin d’obliger les sociétés de contenus à participer aux frais nécessaires à la modernisation des réseaux. Les élus s’en mêlent aux Etats-Unis, proposant une loi pour obliger les géants de la tech comme Alphabet, Facebook et Netflix à contribuer.
Au début du mois de septembre, la Commission européenne a annoncé qu'elle allait lancer une étude pour déterminer si les entreprises technologiques devaient supporter une part plus importante du coût des réseaux de télécommunication. Entre temps, les gouvernements français, italien et espagnol, qui subventionnent largement les mises à niveau des réseaux avec l'argent public, ont envoyé un document commun à la Commission en août pour l'inviter à élaborer rapidement une proposition législative. Si une loi entrait en vigueur, le secteur pourrait bénéficier d’un flux de capitaux important, probablement autour de 3 ou 4 milliards d’euros. En attendant, les compagnies de télécommunication dépensent des dizaines de milliards pour installer des réseaux capables de supporter la transition vers la 5G et l’augmentation des données.
Pour l’instant, même si les prix des services télécoms ont été revus à la hausse cette année (cf. Fig. 3) pour s’ajuster à l’inflation généralisée des produits et services, ils reflètent peu l’amélioration du débit de données. La concurrence reste rude. Or, d'ici 2025, il y aura environ 40 milliards d'appareils intelligents connectés dans le monde. Ce niveau de saturation et d'hyper-connectivité obligera les opérateurs télécoms à investir ou trouver des solutions pour rendre le réseau plus efficient.
La technologie peut aider les opérateurs télécoms dans leur quête de croissance. L'utilisation d'innovations telles que l'intelligence artificielle, la 5G, les réseaux logiciels et l'internet des objets (IdO) aide à réduire les inefficiences et à améliorer l'expérience utilisateur sur les marchés saturés.
Le développement de la 5G aux Etats-Unis se fait notamment via la C-Band. En février 2021, la FCC annonçait les soumissionnaires gagnants de la vente aux enchères de la bande médiane. La vente s'est soldée par des dépenses globales de 81 milliards de dollars, alors que les attentes initiales du marché étaient plus proches de 35-40 milliards de dollars (cf. Fig. 4).
Y a-t-il une vie après la bande C pour les opérateurs télécoms américains ? Si l'expérience européenne en matière de 5G n'est pas encore connue, les grandes enchères 3G du début des années 2000 ont fortement pénalisé les opérateurs européens. S’en est suivi un manque chronique d'investissements, une incapacité de fixation des prix, et donc une baisse des rendements du capital investi, même si cela a coïncidé avec l'arrivée de nouveaux entrants agressifs et de régimes réglementaires onéreux.
Les opérateurs américains et européens vont devoir exploiter toutes les opportunités possibles pour rentabiliser ces investissements. Dans un monde qui se digitalise, les opérateurs seront amenés à offrir davantage de services « cloud » à leurs clients. L'industrie doit repenser bon nombre de ses services à mesure que les bases de l'infrastructure deviennent virtuelles et logicielles grâce à des développements tels que l'open RAN (Radio Access Network).
Le déploiement, la maintenance et l'optimisation des réseaux nécessitent beaucoup de travail manuel et entraînent des coûts élevés. Historiquement, les opérateurs de réseaux mobiles (ORM) ont été verrouillés à ces fournisseurs de RAN traditionnels, ce qui rendait la maintenance et la mise à niveau des réseaux coûteuses et difficiles. Toutefois, ces défis peuvent être relevés grâce à l'approche d'automatisation et de développement que l'on trouve dans les solutions RAN ouvertes (Open RAN).
L'Open RAN (parfois appelé ORAN) est un mouvement visant à ouvrir les interfaces afin de réduire les coûts, sous l'impulsion d’une part de l'O-RAN Alliance pour normaliser les interfaces, et d’autre part du Telecom Infra Project (TIP) pour déployer et établir un écosystème en faveur des opérateurs de réseaux mobiles et de leurs fournisseurs.
Le rendement des investissements dans la 5G reste hypothétique à ce stade et repose essentiellement sur les « killer app » (ou applications indispensables) qui seront développées pour profiter des fonctionnalités de la 5G. Il est difficile pour les développeurs de déployer leurs applications phares tant que les réseaux 5G ne seront pas pleinement fonctionnels.
Cependant, certains consommateurs, notamment aux Etats-Unis, commencent à profiter de la technologie 5G. Chez T-Mobile (TMUS), les premières statistiques sont encourageantes. T-Mobile est le leader en terme de couverture et de vitesse 5G. Il a construit son réseau en utilisant des fréquences 5G dédiées (cf.Fig. 5). De plus, grâce à son réseau « Ultra Capacity 5G », il augmente les performances - apportant des vitesses 5G plus rapides aux quatre coins du pays. Ce leadership lui permet de devenir un partenaire stratégique pour les entreprises et les agences gouvernementales.
Les clients de T-Mobile plébiscitent le plan 5G Magenta MAX, qu’ils utilisent beaucoup plus que les plans précédents pour jouer en ligne ou regarder des vidéos. C'est également l'émergence de nouveaux types d'utilisations telles que la réalité augmentée et la réalité virtuelle qui sont les fondements du métavers. Des expériences 3D plus immersives se développent, et tout cela nécessite des signaux réseau puissants à très haute capacité et à faible latence.
Les opérateurs de télécoms s’échangent à des multiples historiquement bas, excepté pour T-Mobile dont la fusion avec Sprint crée un levier opérationnel fort grâce aux synergies attendues. T-Mobile semble bénéficier également d’un réseau plus efficient et plus étendu que ses deux principaux concurrents que sont AT&T et Verizon. La compétition va se poursuivre sur la capacité à développer des services pour les clients privés, les entreprises et les organismes gouvernementaux. En Europe, l’environnement est plus complexe avec un environnement réglementaire plus strict pays par pays et un environnement compétitif plus intense entre les différents acteurs. Pendant la pandémie de covid, les États membres de l’Union européenne ont progressé dans leurs efforts de numérisation, mais peinent encore à combler les lacunes en matière de compétences numériques, de transformation numérique des PME et de déploiement de réseaux 5G avancés. Le mécanisme de redressement et de résilience, avec environ 127 milliards d'euros consacrés aux réformes et aux investissements dans le domaine du numérique, offre une occasion sans précédent d'accélérer la transformation numérique.
Les opérateurs télécoms pourraient, grâce à la 5G, bénéficier de nouvelles opportunités de croissance. La volonté politique de s’engager dans la voie du numérique fait plier quelque peu les organes réglementaires qui pourraient se montrer plus conciliants face à une consolidation du secteur, notamment en Europe. Une contribution plus importante des méga-tech à l’effort d’infrastructure pourrait également soutenir le développement des réseaux 5G et accélérer le développement d’applications sources de rentabilité pour le secteur.