SOUS-PONDÉRER LA SUISSE, VRAIMENT ?

STRATEGIE ET THEMATIQUES
11 Septembre 2023
Le PIB helvétique a calé au deuxième trimestre et les perspectives sont moroses
Malgré la récession et la relative faiblesse de l'inflation, la BNS pourrait augmenter ses taux
Le franc en profitera pour gagner du terrain, face au dollar et à l'euro
Paradoxalement, cet environnement difficile est un atout pour la bourse suisse

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "Performance des marchés boursiers, en francs suisses"

Performance des marchés boursiers, en francs suisses

ANALYSE DES MARCHÉS FINANCIERS

Durant toute la pandémie, l'économie suisse a fait mieux que la plupart de ses partenaires commerciaux. Elle n'a rien eu à envier ni à ses proches voisins, ni à la première puissance mondiale que sont les Etats-Unis. Au plus fort de la crise, le Produit Intérieur Brut (PIB) helvétique n'a reculé que de -8%, contre -10% à -23% dans les pays qui l'entourent (cf. Fig. 2). Dès le milieu de l'année 2021, la Suisse avait retrouvé son niveau de production d'avant covid. Depuis, sa croissance est en ligne avec celle des pays développés, lui permettant de conserver son rang de premier ordre sur la scène internationale.

Malgré son dynamisme structurel, la Suisse n'est pas immunisée contre la récession. À l'heure où tousles pays sont confrontés à un choc inflationniste important et à une hausse rapide des taux d'intérêt, l'économie suisse n'échappe pas aux difficultés. Les chiffres du deuxième trimestre, rendus publics la semaine dernière, révèlent une forte contraction de l'investissement des entreprises et une très faible progression de la consommation des ménages (cf. Fig. 3). Les premières voient leurs carnets de commandes se vider, tandis que les seconds souffrent de l'érosion de leur pouvoir d'achat et de la dégradation des perspectives d'emploi.

Fig. 2 – Evolution des économies depuis 2016 - Fig. 3 – Contributions à la croissance du PIB suisse
Fig. 2 – Evolution des économies depuis 2016 - Fig. 3 – Contributions à la croissance du PIB suisse

Preuve s'il en faut, les enquêtes de confiance se dégradent de manière notoire, tant auprès des directeurs d'achat que des consommateurs (cf. Fig. 4 & 5). La production industrielle et les ventes au détail vont demeurer en territoire négatif. Tout concourt à ce que la croissance du PIB du troisième trimestre soit négative et qu'elle positionne officiellement la Suisse en récession.

Fig. 4 – Production & confiance dans l'industrie - Fig. 5 – Dépenses & confiance du consommateur
Fig. 4 – Production & confiance dans l'industrie - Fig. 5 – Dépenses & confiance du consommateur

Un des facteurs qui différencient la Suisse du reste du monde est la faiblesse de l'inflation. Certes, celle-ci a progressé à un rythme élevé ces dernières années, mais sans commune mesure avec celle de ses principaux partenaires commerciaux. En Suisse, le pic inflationniste a culminé à 3.5% en glissement annuel, contre 9.1% aux États-Unis et 10.6% en Zone Euro. La croissance des prix est même déjà revenue à proximité de l'objectif de 2% défini par la Banque Nationale Suisse (BNS). De là à conclure que l'institution renoncera à augmenter une nouvelle fois ses taux directeurs le 21 septembre, il y a un pas que nous ne franchirons pas – et ce, pour plusieurs raisons :

  •  La BNS se réunit deux fois moins souvent que la Fed, la BCE ou la BoE par exemple. Si elle ne durcit pas sa politique monétaire lors de ce rendez-vous, elle ne pourra agir qu'en décembre, à moins d'une décision intermédiaire extraordinaire.
  •  Les taux ont augmenté deux fois moins vite en Suisse qu'ailleurs (cf. Fig. 6), certes pour de bonnesraisons, mais leur niveau ajusté de l'inflation (en termes réels) demeure peu restrictif au vu del'histoire (cf. Fig. 7).
  • Un regain de tension inflationniste au cours des prochains mois n'est pas à exclure. L'indice des prix àla production par exemple, lourdement influencé par les prix de l'énergie, a légèrement rebondi récemment.

Fig. 6 – Taux directeurs des banques centrales - Fig. 7 – Taux directeur & inflation en Suisse
Fig. 6 – Taux directeurs des banques centrales - Fig. 7 – Taux directeur & inflation en Suisse

Certains stratèges argumentent que la BNS optera pour l'immobilisme car une nouvelle hausse de taux favoriserait l'appréciation du franc suisse, pénalisant ainsi doublement les entreprises exportatrices. Cet argument est correct mais il semble insuffisant pour modifier la trajectoire de hausse de taux souhaitée par la BNS :

  • Dans les enquêtes de terrain, les entreprises n'indiquent pas que la force du franc soit un frein à leurs exportations. Et pour cause, cette appréciation du franc n'a fait que compenser l'écart d'inflation entre la Suisse (faible) et le reste du monde (élevée). Contrairement aux idées préconçues, les entreprises n'ont donc pas perdu en compétitivité. Ainsi, tant que l'inflation sera inférieure en Suisse, le franc aura de bonnes raisons de s'apprécier davantage.
  • Les directeurs de la BNS indiquent régulièrement dans leurs discours que la priorité demeure la lutte contre l'inflation. Celle-ci étant encore loin du niveau ciblé, ils chercheront à freiner l'économie grâce à une nouvelle hausse du loyer de l'argent. Parallèlement, ils sont parfaitement à l'aise avec une appréciation graduelle du franc. Elle permet de contenir les tensions inflationnistes tout en laissant le temps aux entreprises de s'adapter et d'effectuer des gains de productivité si nécessaire. Preuve de leur confort avec la politique de taux d'intérêt menée et de leur tolérance avec le niveau du franc suisse, ils continuent de réduire le bilan de la BNS. Au cours des quinze derniers mois, ils ont vendu quelque 153 milliards d'euros et dollars pour acheter (et détruire) des francs suisses (cf. Fig. 8). S'ils avaient le moindre doute quant à la nécessité de durcir la politique monétaire, ils auraient freiné le rythme du quantitative tightening instauré début 2022.

Fig. 8 – Interventions de la BNS sur le marché des changes, ajustées des mouvements de marchés
Fig. 8 – Interventions de la BNS sur le marché des changes, ajustées des mouvements de marchés

A court terme, les investisseurs pourraient donc être surpris du nouveau tour de vis monétaire du 21septembre et de l'appréciation du franc qui y serait associée. À long terme, les analyses convergent vers une appréciation structurelle de la monnaie helvétique, contre l'euro et plus encore face au billet vert (cf.Stratégie et Thématiques du 24 avril).

La plus grande déception concernant la Suisse provient de la forte et récente sous-performance de son marché boursier. Au second semestre 2022, cette situation pouvait être justifiée par un "retour à la normale", suite à l'évolution positive du marché suisse au cours des 30 mois précédents. A contrario, le retard de performance enregistré en 2023 est anormal au vu du caractère défensif de l'indice helvétique.Habituellement, lorsque le cycle économique mondial ralentit, les indices boursiers chutent mais le SMI résiste mieux : il sur performe (cf. Fig. 9). Les indices boursiers ayant progressé cette année, malgré le ralentissement économique, la relation semble rompue. Un retour aux fondamentaux, via une correction boursière marquée, ne manquerait pas de redonner des couleurs au SMI, au SPI et à des sociétés qui ont déjà bien performé cette année comme ABB, Kuehne + Nagel, Straumann, ou Temenos (cf. Fig. 10).

Fig. 9 – Performance relative des actions suisses - Fig. 10 – Performance de quatre titres suisses
Fig. 9 – Performance relative des actions suisses - Fig. 10 – Performance de quatre titres suisses

Les investisseurs qui ont l'habitude de prendre du recul et d'investir en francs suisses ne sont pas inquiets. La performance de la bourse helvétique, ajustée de l'effet de change, tient parfaitement bien la comparaison avec les meilleurs indices régionaux, comme le S&P 500 américain, et elle demeure très au-dessus de celle offerte par l'indice phare en Europe, l'EuroStoxx (cf. Graphique de la semaine). S'en passer dans un portefeuille serait une erreur.

Conclusion :

La Suisse entre en récession mais sa situation économique demeure structurellement meilleure que celle de ses principaux partenaires, tant en termes de rythme d'activité que d'inflation. Une nouvelle hausse des taux directeurs par la BNS pourrait donner un nouvel élan au franc suisse. Quant aux actions helvétiques, elles profiteront de la prochaine correction boursière pour sur performer. Deux bonnes raisons pour que les investisseurs s'y intéressent à nouveau.

Rendement des actifs financiers